C'est curieux, car j'associe quasiment toujours une musique à des images, des ambiances, des sensations. Il m'est quasiment impossible de ne pas faire une analogie entre un style musical et un moment donné. Ainsi, je lie en permanence mes écoutes aux lieux et aux ambiances dans lesquels j'évolue. J'écoute du Pat Metheny ou de la musique brésilienne tandis que je voyage dans des pays méditerranéens, j'écoute de la city pop japonaise lorsque la nuit tombe et pendant que je traverse en métro les quartiers sud de Lille, leurs immeubles déprimants plombés par une triste pluie d'automne, je ne trouve rien de mieux que de lancer un album des Smiths sur mon lecteur mp3.
Si je vous raconte cela, c'est bien sûr car Seven Days of Falling, sans doute le meilleur album du Esbjörn Svensson Trio, ne déroge pas à la règle. Je me rappelle encore l'écouter continuellement tandis que je me rendais à mon lycée, le matin, sous un ciel d'hiver et son froid glaçant.
Je vous voit venir, associer un groupe de jazz scandinave à l'hiver ça ne semble pas très créatif. C'est vrai. Mais pourtant dans la musique d'Esbjörn Svensson il y a cette froideur, cette distance glaçante. Des longues mélodies, lentes et vaporeuses, accompagnées sobrement de la contrebasse de Dan Berglund et de la batterie de Magnus Öström, le tout formant des morceaux simples mais efficaces. Le style d'Esbjörn Svensson est ici magnifié par de parfaits arrangements, donnant corps à l'album, l'unifiant, lui donnant une teinte unique.
Le morceau éponyme est sans nul doute l'un des grands moments de l'album. Une ligne de basse entêtante, un accompagnement sobre de la batterie et le style si délicat d'Esbjörn Svensson, au touché parfait, qui n'en fait jamais trop, juste ce que l'on veut entendre. Et lorsqu'on écoute enfin Why She Couldn't Come, le morceau qui clôture Seven Days of Falling, ce sommet de mélancolie nous enivre, nous possède. Sa tristesse nous atteint autant que sa perfection nous fascine. Il est plaisant de voir qu'aujourd'hui des artistes sont encore capables de composer et de jouer un jazz simple, accessible et en même temps si prenant et émouvant.
Esbjörn Svensson nous a peu être quitté trop tôt, en ce triste jour de juin 2008, mais sa musique restera à jamais comme l'une des plus importantes de ce début de siècle. Accessible de tous, Seven Days of Falling est à la fois une merveilleuse porte d'entrée au jazz pour les néophytes et un album excellent pour les passionnés. Un tour de force qui mérite qu'on l'écoute et qu'on ne l'oublie pas.