Deux pas en arrière puis un pas en avant

Il est évident que Stone Temple Pilots ne pouvait pas continuer à vendre des pelletés de disques indéfiniment. Tous les artistes finissent par passer de mode. Même un formidable caméléon tel David Bowie a connu des périodes où ses retombées financières étaient minimes.


Bon, relativisons le cas Shangri-LA DEE DA qui s’est, tout de même, écoulé à 500 000 exemplaires rien qu’aux États-Unis. Mais on reste loin des records atteints par leurs premiers faits d’arme. En même temps, sa date de sortie n’est pas anodine. Le groupe entre dans une nouvelle décennie bien différente de la précédente. De plus, la concurrence est rude dans le post-grunge en 2001 : Staind, Puddle of Mudd, Nickelback, Creed... Des groupes, au mieux, bons sur le format single mais, d’ordinaire, très faibles sur la longueur d’un album. Seulement, ils sont parmi les gros vendeur du rock Américain à ce moment-là. Avec quatre offrandes studio au compteur, STP apparaît comme un vieux lion dont les griffes émoussées n’impressionnent pas une jeunesse cherchant un rock mélancolique et puissant tel l’antique grunge tout en étant plus accessible.
C’est, hélas, toute l’ironie du sort concernant le statut de la bande de la famille DeLeo. Si elle a été le précurseur de ce courant superficiel et racoleur, elle va finir par disparaitre tout comme la majorité des véritables formations du grunge. Tout au plus, elle a réussi à repousser l’échéance. Cependant, sa durée de vie est similaire au genre qu’elle a copié dans un premier temps. Le grunge ayant pratiquement disparu à la fin des années 1990. Malgré la persistance de Pearl Jam ou de Mudhoney, aucune scène revival ou s’inspirant ouvertement de ce style n’est apparue aujourd’hui. On peut donc affirmer, sans se tromper, que le grunge est bel et bien mort.


Toutefois, STP était-il réellement un groupe grunge ? Les goûts disparates et complémentaires de ses membres l’ont maintes fois poussé à dériver ailleurs. A fouler les plates-bandes d’autres musiques quitte à s’aventurer sur des terres où on ne l’attendait pas comme avec Tiny Music. Shangri-LA DEE DA semble apporter une réponse à cette question hautement importante. Finalement, les Californiens étaient surtout des opportunistes doués d’un sens de la mélodie particulièrement efficace. Ce qui faisait leur force n’était pas vraiment leur identité, c’était surtout la qualité de leurs chansons.


Néanmoins, ce dernier album avant une première séparation démontre que le quatuor ne sait plus vraiment dans quelle direction se diriger. Et que fait-on quand est piégé dans cette situation ? On mélange tout. On cuisine alors une ratatouille de ses multiples influences. Car même si cela peut paraître peu crédible artistiquement, leur grande force a toujours été d’absorber les influences des autres afin de bâtir leur son. Hélas, Shangri-LA DEE DA arrive trop tôt pour bénéficier du nouvel élan du rock des années 2000. Il débarque trop rapidement pour découvrir le revival garage rock ricain des White Stripes et autres Strokes. Trop hâtivement pour profiter du retour du post-punk via Interpol et Bloc Party. A la place, on redécouvre leur amour envers ce post-grunge qu’ils ont inventé involontairement et cette pop 60s devenue une obsession récurrente depuis le milieu des 90s. Seule surprise, une orientation psychédélique plus affirmée. Même si cette influence était déjà présente depuis Core en vérité.


Ce disque est fréquemment oublié voire méprisé par les amateurs de STP. Certes, il est indiscutablement en dessous de ses prédécesseurs. Cela ne se joue pas à grand-chose : des mélodies moins mémorables, moins envoûtantes qu’auparavant. Aucun véritable tube n’a marqué son époque (« Hollywood Bitch » aurait pu tant il s’avère inoubliable et entêtant) et les morceaux brutaux sont moins percutants que d’habitude (« Coma »). Ce skeud est correct mais manque singulièrement de moments forts puisqu’il n'y en a que deux, un hit potentiel (la piste 4) et une très jolie ballade ouatée (« Hello It's Late »). Le reste étant souvent agréable mais loin d’être essentiel.
Sachant que cette sortie était prévue pour être un double album à l’origine, on ne peut être que soulagé de l’abandon de cette idée tant l’essoufflement créatif de Stone Temple Pilots est perceptible. Finalement, le seul qui ne soit pas affecté par cette situation, c’est Scott Weiland. Le chanteur hésite désormais entre plusieurs timbres vocaux (au point qu’on serait tenté de le considérer comme un simple copycat) tout en demeurant un excellent interprète. Drogué, violent, bipolaire (c’est indiqué dans l’intitulé de la piste 10), ce personnage est humainement peu attachant. Ce qui ne l’empêche pas d’être bourré de talent et cela rend cette ambivalence vraiment fascinante. Car finalement, valait-il mieux préférer les gentillets Nickelback, bien sous tous rapports, ou les STP qui étaient menés par un cinglé de première ? Si on s’attarde uniquement sur la musique, le choix est vite fait.


Au cas où vous hésiteriez encore, comparez donc ce disque avec Silver Side Up paru la même année et vous comprendrez où je vous en venir.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
5
Écrit par

Créée

le 18 janv. 2018

Critique lue 196 fois

5 commentaires

Seijitsu

Écrit par

Critique lue 196 fois

5

Du même critique

Split
Seijitsu
9

Chef d’œuvre sous-estimé

Dès les premières notes de "Light From a Dead Star", on sent que quelque chose a changée. Fini la reverb maousse de Robin Guthrie, le son de Lush s'est grandement aéré et les chansons en deviennent...

le 22 juil. 2015

18 j'aime

Badmotorfinger
Seijitsu
10

Enfin maître du grunge

1991: The Year Punk Broke. Il serait surtout plus juste d’affirmer qu’il s’agit de l’explosion médiatique du rock alternatif Américain, voire du rock alternatif tout court. L’année de la découverte...

le 2 mars 2016

16 j'aime

1

Giant Steps
Seijitsu
9

Kaléidoscope musical

Qu'est-ce qui sauve un disque de l'oubli ? Sa qualité intrinsèque ou la progéniture qu'il engendrera ? S'il y avait une justice en ce bas monde, c'est la première caractéristique qu'on retiendrait en...

le 15 août 2015

15 j'aime