Ship
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Album de Yuka & Chronoship (2018)

La culture japonaise est unique en ce sens qu’elle arrive tout à la fois se nourrir des influences extérieures et conserver sa très particulière identité. Ainsi, lorsque les Beatles importent le rock au Pays du soleil levant, en 1966, les musiciens nippons ne tardent pas à proposer une vision singulière de ce style, typiquement occidental, en inventant le J_rock. Ce genre, qui se démarque de l’approche anglaise ou américaine, aussi bien à travers le comportement des musiciens, souvent anti-drogue, que par l’affichage d’un look très particulier qui trouvera son apogée à la fin des années 80, dans le mouvement visual Kei, y connait un succès retentissant .


Ce sens du décalage se retrouve également dans le rock progressif japonais qui est le seul pays asiatique à avoir développé le genre dans les mêmes proportions que l’Occident au milieu des années 70 et 80. Porté par des groupes comme Gerard ou Ars Nova ainsi que par des labels spécialisés comme Poséidon, le rock progressif nippon s’est très vite caractérisé par l’omniprésence de cordes et de plages synthétiques rappelant souvent les bandes originales de jeux vidéos. Il faut écouter l’œuvre de Sakuraba Motoi, compositeur génial de nombreuses BO de jeux vidéos ainsi que de chefs d’œuvres du rock progressif pour se rendre compte combien les deux univers sont interpénétrés dans la culture nippone. Comme en Occident, le rock progressif japonais a connu un passage à vide dans les années 90, et ceci malgré la parution de plusieurs albums très recommandables, avant de renaître de ses cendres au début des années 2000 grâce à des groupes contemporains comme KBB ou Nightmare (compositeur des premiers épisodes de la série d’animation Death Note, autre chef d’œuvre incontournable de la culture japonaise).


C’est donc dans ce contexte de renaissance que paraît, en 2011, le premier album de Yuka and the Chronoship. Ce groupe formé deux ans plus tôt, à l’initiative de la claviériste Yuka FUNAKOSHI, qui s’est entourée pour l’occasion de trois musiciens de studios chevronnés, propose depuis presque dix ans, une musique exigeante aux influences plus occidentales que celle de ses pairs. On entend en effet dans le son et les constructions rythmiques de la formation de Yuka FUNAKOSHI la précision et l’inventivité de groupes cultes des années 60 et 70 tels que King Crimson, Yes ou Genesis. Outre les influences musicales, on retrouve également chez Chronoship une tendance, héritée de ces glorieux ainés, à la composition d’œuvres conceptuelles. Ainsi, sur le disque précédent, The 3rd Planetary Chronicles , le groupe nous proposait rien de moins qu’un voyage dans le temps retraçant l’évolution de notre planète depuis sa création jusqu’à nos jours.


Le quatrième Opus de la formation, Ship, reste fidèle à cette tradition en abordant cette fois-ci le mythe de la quête de la Toison d’or. Comme pour les albums précédents, les compositions, essentiellement instrumentales, peuvent être perçues comme la BO imaginaire d’un film restant à tourner sur la légende de Jason et des Argonautes. Cette ambition se retrouve ici en particulier, dans le premier morceau de l’album, « Argo » , décomposé en sept mouvements retraçant les différentes étapes du voyage de Jason. Après une ouverture vaporeuse, l’album démarre pied au plancher avec la composition « The ship argos », mélangeant habilité technique et circonvolutions rythmiques réjouissantes autour d’un thème mélodique interprété par Yuka au synthétiseur. Le morceau suivant « The landing » , construit autour d’un riff de guitare que n’aurait pas renié Robert Fripp, propose un balancement intéressant reposant sur des accentuations rythmiques originales. Ce travail sur les syncopes et les claves rythmiques est d’ailleurs un des nombreux points forts du groupe. Ces fantaisies, les musiciens peuvent se les permettre grâce à une symbiose parfaite entre la basse et la batterie. Le morceau « A dragon that never sleeps » illustre parfaitement cette réalité. La basse démarre seule avec un riff diabolique avant d’être rejointe par la batterie qui propulse la chanson, dès le départ, dans des sphères stratosphériques rappelant parfois, dans un style pourtant très différent, l’univers de groupes comme Infectious groove qui placent le travail sur la pulsation rythmique au centre de leurs préoccupations artistiques sans pour autant oublier l’énergie du rock and roll. C’est ce mélange entre précision et énergie qui fait la force de Yuka and the Chronoship. Cette fusion atteignant son point culminant vers 1mn40, sur le morceau « Dragon », lorsque le duo rythmique se lance dans une succession de breaks extraterrestres pour annoncer l’arrivée d’un solo de guitare remarquable, lui aussi, tant par sa composition que par son interprétation. Takashi Miyazawa, guitariste de la formation, apporte d’ailleurs à l’ensemble du disque une touche très originale grâce à un son et des influences très ancrés dans les années 80, s’écartant ainsi quelques peu des références des autres musiciens du groupe. On songe en l’écoutant à l’univers de Joe Satriani ou Steve Vai sans pour autant qu’il ne tombe jamais dans les travers trop démonstratifs que pouvaient, et que peuvent encore avoir ces artistes. Si les musiciens qui accompagnent Yuka sur le projet sont donc tout sauf des faire valoir, c’est pourtant bel et bien le clavier de FUNAKOSHI qui se taille la part du lion dans l’univers des Chronoship. C’est autour de lui qu’est construite la plupart des compositions. Il suffit d’écouter les variations mélodiques et sonores que propose Yuka sur des chansons comme « The Air Ship of Jean Giraud » ou « Visible light » pour être convaincu du talent hors norme de cette artiste. Outre son savoir-faire de claviériste, Yuka est également une excellente chanteuse comme elle le prouve sur la composition « Visible light » qui est, pour moi, le sommet de ce disque tant le groupe trouve ici l’équilibre parfait entre inventivité musicale et émotion.


Après avoir atteint ce pic, l’album se clôture par deux chansons plus abordables, « Old Ship on the grass », un titre folk rock sympathique aux légers accents irlandais et une longue ballade métaphysique « Did you find a star? ». Deux chansons qui peuvent s’entendre comme un retour au port après un voyage merveilleux durant lequel l’auditeur curieux aura découvert un monde sonore sortant réellement de l’ordinaire.

Hervé_Bertsch
8
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le 9 août 2023

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Hervé Bertsch

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