Dès les premières secondes de « One More », on sent que ça ne va pas être du gâteau. Près de 2 minutes 30 de distorsions ultra-crispantes à rendre fou Merzbow, avant que les guitares se mettent à hurler comme des sirènes pour finalement laisser apparaitre une voix, douce et fantomatique. Très sereine malgré cette avalanche de décibels qui a dû faire fuir tout le monde en 1992… Et même aujourd’hui, l’effet serait le même !
Medicine avait compris que le meilleur moyen de se démarquer dans un créneau encombré, n’était pas forcément de faire dans l’original: on pouvait aussi aller beaucoup plus loin. Plus loin que My Bloody Valentine, les Jesus and Mary Chain ou Curve. Ne pas avoir peur des larsens. Les dompter pour les mélanger sans complexe dans la pop la plus sucrée qui soit. Faire une tête brûlée musicale. Un bonbon à la fois doux et amer, sucré et salé.
Mais qui sont ces énergumènes qui osent aller dans le jusqu’au-boutisme quitte à se fâcher avec tout le monde ? Car si le shoegaze est d’origine Anglaise, la façon de faire ne ressemble pas du tout à la Perfide Albion. Les rosbifs sont trop raffinés et souvent plus finauds que la moyenne. Cela ne pouvait être que des Américains pour être aussi bourrins et frontaux. Pas excessifs comme peuvent l’être les Japonais, mais suffisamment sûr d’eux même pour savoir se faire remarquer.
A l’instar du Mercury Rev de la même période, la bande a la passion des guitares. Elle aime les empiler, les tordent dans tous le sens pour leur donner une couleur inédite quitte à casser les oreilles de tout le monde. Un procédé qui aurait peut-être été vain si cette joyeuse équipe ne s’était pas appliquée à coller du songwriting dessus.
Le miracle se produit justement de cette façon.
Comme pour Loveless, Shot Forth Self Living a des envies de mélodies. De chansonnettes mignonnes et inoubliables.
« Aruca » débute avec une guitare acide à la Big Black pour muter rapidement en une sorte de dance pop flinguée au bruit. Si le groupe ne tente jamais de taquiner les pistes de danse, le batteur s’emploie toutefois à sonner comme une boite à rythmes. Les rythmiques sont donc souvent mid-tempo comme le sera le trip hop par la suite. « A Short Happy Life » pourrait être même un prototype saturé de ce sous-genre avec les vocalises sexy de Beth Thompson flottant tranquillement sur des guitares gémissantes. « Sweet Explosion », c’est aussi toute cette scène néo-psyché à venir qui se dessine dedans, les Flaming Lips en tête.
Des terroristes sonores un peu en avance sur le troupeau donc et un peu tombé dans l’oubli la faute à la mauvaise réputation de cette scène qui « se célébrait elle-même » (quand bien même Medicine n’en faisait pas partie, puisqu’ils n’étaient même pas en Angleterre). Mais c’est aussi et surtout un disque rude, puisque capable de tuer aussi bien les diabétiques que les rebelles croyant écouter de la musique méchante.
« Christmas Song » conclût à merveille cette étrange mixture, entre grâce (la voix de Beth) et lourdeur sonore terrifiante. Les guitares, taquines jusqu’aù bout, se permettent même de répondre de manière mielleuse au chant pour essayer de l’amadouer.
Un point final qui fait sortir de cette épopée groggy mais aussi bizarrement satisfait. Car Shot Forth Self Living rend autant sourd qu’heureux. Je vous aurais prévenu.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.