1966, sur la scène du Casino The Sands à Las Vegas, Sinatra se produit du 26 janvier au 1er février. Bon, Vegas, on le sait, c’est un peu sa maison, seul ou avec ses potes du Rat Pack, les spectacles du soir servant à jouer pendant la journée et à faire des fêtes jusqu’à plus d’heure après. Mais il n’est pas seul ce coup-ci car accompagné de Count Basie et son orchestre (grande classe) et de Quincy Jones comme chef d’orchestre ! Cette série de concerts va être pour lui l’occasion d’enregistrer son 1er album en public, à domicile donc. Et avec une décontraction hallucinante (qui reposait avant tout sur un ENORME travail de préparation !), il va faire le show, autant chanteur de génie doté d’une voix exceptionnelle que comédien. Il commence d’ailleurs en interpellant le public : « Comment tous ces gens ont-ils pu entrer dans ma chambre ? » avant d’enchaîner sur « Come fly with me ». Ce concert s’ouvre donc dans un éclat de rire avant une explosion de swing et tout va être du même calibre. Il venait juste avant de fêter ses 50 ans et il affirme pourtant que c’est « un sale mensonge communiste » et qu’il a en réalité 28 ans !!!

Un Frankie en grande forme, entouré par la Rolls des big bands. Il n’avait jusqu’ici travaillé avec Basie qu’en studio mais ils avaient commencé à donner des concerts ensemble à l’été 65. Rappelons juste qu’en 66, c’était l’époque de « Revolver » des Beatles et du « Pet Sounds » des Beach Boys, le « Highway 61 revisited » de Dylan, des albums qui ont révolutionné la musique populaire. Pourtant, en écoutant Sinatra, on est hors du temps, des standards intemporels où chacun(e) peut se retrouver. Quincy a d’ailleurs affirmé dans son autobiographie : « Frank était alors au sommet de ses capacités, et je pilotais son navire musical, le plus grand groupe du monde ». On le sait, derrière les vannes préparées, Frankie cachait une grande sensibilité. On le voit bien avec une de ses plus belles interprétations, « One for my baby ». Sinatra présente la chanson en disant : « C'est la partie du programme où nous chantons une chanson d'ivrognes », une plaisanterie qui provoque des rires dans le public. Une fois qu'il commence à chanter, cependant, la salle succombe à l’émotion. On pourrait entendre une mouche voler lorsque Sinatra, accompagné du piano solitaire de Bill Miller, transforme le nocturne de bar de Harold Arlen et Johnny Mercer en un hymne désolé pour les éternels perdants, ces « losers magnifiques » qu’il savait incarner à la perfection. Il faut en avoir vécu des chagrins d’amour pour chanter comme ça…

Lors de « The Tea Break », c’est un sketch de presque 12 mn que nous offre Frankie, balançant sur ses potes du Rat Pack, Sammy Davis Jr et Dean Martin : « Si jamais nous développons une équipe olympique de buveurs, il en sera l'entraîneur », plaisante Sinatra, faisant allusion au penchant supposé de son pote Dino pour les alcools forts. « The Shadow of your smile » est une nouvelle chanson, écrite par Johnny Mandel, Sinatra ne l’a apprise que juste avant ses concerts au Sands et il est cependant impérial, comme à chaque fois serait-on tenté de dire ! Cet album est un pur chef d’œuvre, absolument pas réservé aux fans de jazz, juste à ceux et celles qui aiment la bonne musique, celle qui émeut et fait rire, qui raconte des histoires qui arrivent à n’importe qui. Sinatra avait une classe inégalable et quand il chante, vous avez vraiment l’impression qu’il chante pour vous ! Il signait là son meilleur live et peut-être un des plus grands albums en concerts de tous les temps. Des artistes comme Diana Krall ou Eddy Mitchell (pourtant pas fan des albums en concert) ont souligné en interview l’importance de ce « Sinatra at the Sands ». C’est d’ailleurs après lu les louanges qu’en faisait Diana Krall que je l’avais écouté il y a une vingtaine d’années et depuis, il ne me quitte pratiquement pas et revient sur ma platine régulièrement y faire un tour. Précipitez-vous dessus si vous ne le connaissez pas.

JOE-ROBERTS
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le 9 oct. 2024

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