Sleep Cycle
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Sleep Cycle

Album de Deakin (2016)

Je ne partais pas avec l'idée d'aimer ce disque, que j'ai abordé de la même manière qu'un album d'Animal Collective : avec suspicion et un soupçon de curiosité morbide. Quelle ne fut pas ma surprise de me retrouver ce qui est devenu avec les écoutes mon disque préféré échappé du collectif animalier, surpassant mon petit favori Strawberry Jam. Sleep Cycle est donc un disque qui m'a amené à me poser beaucoup de questions (un certain nombre d'entre elles restant d'ailleurs encore sans réponse à l'heure où j'écris ces lignes), comme par exemple : aurais-je mal jugé la carrière très inégale d'Animal Collective, pour qu'un de leurs rejetons s'exprime aussi brillamment en solo ? Ou bien : l'échec du mollasson Painting With s'expliquerait-il par l'absence du petit prodige ignoré ? Ou encore : le vrai génie encore en activité dans ce zoo expérimental serait-il non pas Avey Tare ou Panda Bear comme on essaie de nous le faire croire mais bien Joshua Caleb Dibb, alias Deakin, qui avait déjà apporté sa patte sur mes chers Feels et Strawberry Jam ? Tant de questions et bien d'autres se bousculent dans ma tête... C'est donc l'histoire d'une conversion, aussi bien la mienne que celle de Deakin lui-même, tombé amoureux du Mali en 2010.


En effet, pour ses heures de liberté au loin d'Animal Collective, Deakin est parti s'isoler en continent africain francophone grâce à une campagne Kickstarter entamée en 2009 qui lui a permis d'aller jouer dans des festivals maliens et de s'imprégner de la culture locale. Et d'en faire un disque bien sûr. Pari plus que réussi pour le bonhomme car loin de se contenter d'apporter simplement quelques touches de musique traditionnelle malienne dans son électropop psychédélique, l'artiste semble être parvenu à s'imprégner totalement du lieu et de sa géographie pour balancer une musique certes réminiscente de la période Sung Tongs, Feels et Strawberry Jam d'AnCo, mais résolument hybride et unique.


Sleep Cycle, comme son titre et sa pochette peuvent le laisser penser, est un disque de la nuit, construit comme un rêve. Et dans ce rêve Deakin sans en avoir conscience intègre harmonieusement ses expériences du Mali accumulées pendant la veille pour les mêler à sa propre personnalité musicale. "Golden Chords", introduction idéale au délire de l'album, donne un aperçu tout en douceur de ce qu'on pourra retrouver par la suite. Nous sommes accueillis par une atmosphère nocturne riche en sons d'animaux (grillons, criquets, oiseaux de nuit, grenouilles...), par le son lointain des pas d'un couple qui marche en discutant, et d'autres échantillons méconnaissables qui pavent le terrain pour une superbe ballade folk à la fois menée par les sensibleries maniérées bardées d'échos de l'Occidental gringalet que par des motifs répétitifs à la guitare tout droit hérités d'un feeling purement africain. Et les grillons de venir refermer cette première parenthèse onirique d'une douceur à faire manger sa casquette au panda responsable d'un certain Painting With paru deux mois plus tôt. À partir de là Deakin délaisse un peu l'intimisme de son entrée en matière pour se diriger vers des compositions évoquant plus du Animal Collective classique, à savoir l'apparition de synthés sirupeux déglingués, de boîtes à rythme bubblegum et d'effets de voix divers. Mais attention, un AnCo plus cohérent et canalysé que tout ce que j'ai pu avoir l'habitude d'entendre de leur part, au niveau de la composition où ENFIN l'expérimentation est là pour complimenter l'écriture. Avec toujours ces petits bouts de réel présents en fond pour accompagner le voyage. On notera cette "tranche de vie" étrange et brumeuse qui accompagne "Just Am" vers "Footy", peuplée d'enfants qui se chamaillent et du discours distordu d'un homme sonnant comme un esprit africain. Ou encore "Seed Song", qui aurait certes mérité un mixage moins strident mais qui se pose comme un interlude comme un interlude composé quasi-exclusivement de field recordings en pagaille (dont certains deviennent impossible à identifier) qui plante les graines de la beauté à suivre, "Good House", une berceuse secouée de bruitages, qui ironiquement nous amène vers l'éveil et l'autre versant du disque.


Bien qu'étant étiquetées comme bonus tracks, les deux jams live entre des musiciens maliens et notre ami Deakin, de plus de 10 minutes chacune, sont essentielles à Sleep Cycle car elles en constituent le pendant diurne : le Mali tel qu'il est est pendant l'éveil, prêtant ses forces et sa joie à l'américain avide d'expériences. Pour ne rien gâcher, il s'agit possiblement de la meilleure partie du disque. Et c'est bien ce qui achève de consacrer Sleep Cycle comme un excellent album. Lorsque AnCo s'amusait avec des sonorités tropicales ils versaient parfois dans un exotisme un peu putassier, tandis que les inspirations de Deakin ici respirent l'échange et l'authenticité, insufflent une vie et une chaleur communicatives à sa musique, qui se voit aussi bien ancrée "dans le sol" que teintée d'une spiritualité exaltée. On arrive au bout du premier voyage en solitaire de Deakin, qui après 6 ans de travail (et une controverse portant sur les délais de parution de Sleep Cycle) Je pense pouvoir affirmer sans peine que ça valait le coup d'attendre. Espérons que qui-vous-savez aura le bon sens de s'en inspirer pour redresser le cap.


Critique provenant de XSilence

T. Wazoo

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