Il s'agit d'abord d'un des premiers concerts solos de l'artiste, en improvisation, "sans filet".
Non pas que Jarrett ait le trac, à 28 ans il est même près à largement dominer le monde. Cela dit on le sent parfois hésitant par moments quand il ne verse pas dans la pure technicité pour compenser une petite froideur. Et puis notons qu'il s'agit du premier disque live enregistré par ECM alors récemment crée par Manfred Eicher quelques années avant. La méthode n'est donc pas au point, le son baisse parfois dans l'inaudible, enregistre plus le public que les notes, un petit grésillement étouffé semble noyer ces dernières.
Pour ses raisons, le concert à Lausanne pourrait être placé en seconde partie, plutôt qu'en première, histoire de ne pas décourager le curieux d'emblée (il est du coup placé en cd 2 alors que chronologiquement le concert est daté du 20 mars 1973 là où celui de Brême est daté du 12 juillet 1973). Il faut dire qu'en plus d'un concert admirablement bien joué et fascinant, l'auditeur inexpérimenté pourra être découragé par l'unique piste non scindée d'une heure qui forme le concert. Et cela pour une raison d'autant plus inconnue qu'on sent clairement bien qu'il y a deux parties avec une "scission" naturelle au bout de 30 mn où Keith ayant terminé une mélodie non-stop, fait une petite pause tandis que le public applaudit.
Cela dit, le concert de Lausanne n'en reste pas moins passionnant et dans sa "seconde partie", Jarrett n'hésite pas à alterner tapes du pied et de la main tandis que les cordes du piano, pincées à la manière du classique contemporain cher à John Cage ouvrent un climat étrange et décalé.
Pourtant le clou de cet très bon double-disque, c'est bien le concert de Brême.
Ici, l'on sent le pianiste frondeur, qui veut en découdre.
C'est jubilatoire quand on sait qu'il va bientôt frapper un grand coup avec le Köln Concert et qu'ici l'embryon de son style est d'une puissance émotionnelle et mélodique qui perce déjà. Une première piste (partie, plutôt) de 18 mn fait monter un long crescendo qui part de notes doucement contemplatives pour alterner entre tonalités joyeuses et mélancoliques dans le même temps. Brillant, mais le meilleur est encore à venir. La seconde partie s'ouvre sur un ton plus jazzy avant de passer à la vitesse supérieure, frénétique, intense, avec ce sentiment que Jarrett met ses tripes en jeu, montre son âme à un auditeur qui a presque envie imperceptiblement de taper des mains et des pieds quand l'émotion ne l'affleure pas d'un coup au coeur. La même puissance émotionnelle qu'un coup de foudre en direct si vous voulez. Surtout si l'on adore et le piano ET Jarrett.
Pas difficile au final de comprendre pourquoi ce disque est aussi apprécié que le concert de Köln, il enchante et cloue littéralement dans le même temps. Sans doute moins facile d'accès par moments que ce dernier c'est un fait, mais un disque énorme, puissant, immense. Impressionnant.