Depuis leur apparition en 2015, les deux frères d’Addario, nos deux « brindilles de citron » ont ravi une bonne partie de la planète rock avec leurs chansons sur-vitaminées inspirées par la créativité pop des sixties, en rajoutant une bonne louche de variété américaine classique, voire d’opérette, mais aussi de glam rock, surtout sur scène où les deux frères ne reculent jamais devant un zeste d’exagération, voire de provocation. Après un second album qui a divisé les fans de par ses excès « broadwayesques », ils abordent avec le bien nommé – tout un programme ! – "Songs for the General Public" le virage critique du troisième album, celui qui dans la carrière d’un groupe, définit généralement la trajectoire à venir.


Annoncé en mars par un irrésistible "The One" qui évoquait la brillance et l’optimisme de "Do Hollywood", puis retardé jusqu’à la fin août pour cause – refrain fatigant – de pandémie, "Songs for the General Public" confirme, bien entendu, nos chers Lemon Twigs ne feront jamais rien comme tout le monde : alors qu’on attendait sans doute un album plus « traditionnel », les voilà qui persistent et signent dans une ligne plus ou moins directe de leur tarabiscoté et ambitieux "Go to School"… Ce qui nous permet de recycler sans vergogne les qualificatifs utilisés à l’époque : « sophistiqué », « mélodies divines », « kitsch trompeur », « travail colossal et générosité », etc. Soulignons le soulagement que nous ressentons dès la première écoute devant l’évidence de la constante qualité des compositions : pas de baisse d’inspiration à craindre pour l’instant, même si, comme toujours, la production chargée et l’accumulation effrénée de sensations extrêmes font que plusieurs écoutes seront une fois de plus nécessaires pour retrouver son chemin dans un album aussi foisonnant que ses deux prédécesseurs…


On notera néanmoins des variations significatives dans l’usage des genres disponibles dans l’incroyable palette de références du groupe : dès l’introduction « Amérique profonde », avec accent local appuyé, on sent que les frères d’Addario vont prendre un malin plaisir à nous balader… « I thought of us as angels / And I thought of us as devils, too / I thought of us with the long, long hair / Oh if only we only knew / Now we are much older / No more shiny shiny new / The kids of yesterday are gone / But they left us with their blues » (« Je pensais à nous comme des anges / Et je pensais à nous comme des démons aussi / Je pensais à nous avec les cheveux longs, longs / Oh si seulement nous avions su / Maintenant nous sommes beaucoup plus âgés / Plus de brillants nouveaux / Les enfants d’hier sont partis / Mais ils nous ont laissé avec leur déprime ») ("Hell on Wheels"). Si l’on écoute un peu les paroles, soit un exercice qu’on a peu l’habitude de faire sur les chansons des Lemon Twigs, on notera une mélancolie que l’on n’associe pas normalement avec le groupe, mélancolie heureusement contredite par la mélodie efficace typique.


Bien sûr, après cette ouverture en « trompe l’oreille », on reconnaît mieux l’univers habituel du groupe, ce Rock seventies largement middle of the road, comme s’il s’agissait avant tout de réhabiliter Supertramp à coup de synthés ringards transperçant des mélodies imparables ("No One Holds You"), ou de livrer une version américanisée de Queen… Un rock toutefois toujours mâtiné de clins d’œil vers un Broadway idéalisé…


C’est dans sa dernière ligne droite que "Songs for the General Public" s’embarque vers des horizons plus surprenants… Avec "Hog", une chanson au texte incroyable de violence, porté par une mélodie superbe – la plus immédiatement accrocheuse de l’album – dont le lyrisme exaltant et le chant nous renvoient aux débuts de… Suede : « Who is this hog? / You once were an angel full of glitter, now of shit / My hate knows no bounds / And all I can think of are ways I would kill you if you were closer to me » (« Qui est ce porc ? / Tu étais autrefois un ange plein de paillettes, maintenant tu es plein de merde / Ma haine ne connaît pas de limites / Et tout ce à quoi je peux penser, ce sont aux façons de te tuer si tu étais à côté de moi »)… "Why Do Lovers Own Each Other" ressemble à l’un de ces « slows » symphoniques et bouleversants que les Frères Mael distribuent au compte-gouttes sur les meilleurs albums de Sparks. "Leather Together" est l’un des morceaux les plus hystériques, les plus immédiatement rock que les Lemon Twigs nous aient jamais offerts, une sorte de glam-punk-rock opératique illustrant un cartoon déjanté de Tex Avery


Et puis arrive cette conclusion, étonnante de beauté, de noirceur… « A person does things for no reason / Because a reason is to survive / So since there’s no reason to survive / A person should do nothing » (« Les gens font des choses sans raison / Ou parce qu’une raison est de survivre / Donc, puisqu’il n’y a aucune raison de survivre / Les gens ne devraient rien faire »… "Ashamed" est une chanson qui parle de drame familial, de renoncement, une chanson qui semble d’abord la plus dénudée de tout l’album (bon, on n’en est évidemment pas au stade du minimalisme…entendons-nous bien !), la moins surproduite, une chanson où la voix tremble, où les certitudes n’ont plus cours… avant de s’envoler vers les cieux dans un final superlatif.


Incontestable réussite de deux frères en pleine possession de leurs moyens musicaux, "Songs for the General Public" n’apporte certes aucun éclairage nouveau sur les Lemon Twigs : cet assemblage bariolé de musiques excessives ne convaincra sans doute personne parmi les réfractaires à ce groupe hors normes, mais il fournira à Michael et Brian de nouvelles munitions pour mettre le feu au public lorsqu’ils pourront de nouveau monter sur scène.


[Critique écrite en 2020]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/08/20/songs-for-the-general-public-encore-une-incontestable-reussite-des-lemon-twigs/

EricDebarnot
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le 20 août 2020

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Eric BBYoda

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