Découverte par le DJ touche à tout et éclectique de la BBC John Peel, Bridget Saint John reste cette image furtive d’une jeune femme timide et éclipsée dont le parcours voué souvent à disparaître et réapparaître au gré des découvertes mélomanes ne fait qu’accentuer la rareté et l’émotion simple et brute qui apparaît à l’écoute de sa musique folk. Pour ne pas aider, il faut dire que sous le label Dandelion (pissenlits en français !) de 1969 à 1972 ses disques ont tous floppés. Bon, le label de John Peel qui était lui-même en train de couler, mal distribué, mal promu, ça n’a pas vraiment aidé non plus. Un timbre de voix un peu grave qu’on a souvent rapproché (à tort je dirais) de la chanteuse Nico ça a aussi curieusement peu attiré les maisons de disques apparemment.


Et pourtant pour qui prenait l’effort de se pencher sur ses créations sonore dès son premier album, « Ask me no questions » (1969), quelle magie s’ouvrait directement à nos oreilles mes aïeux. Un disque de folk basique, minimaliste mais superbe où juste d’une voix et d’une guitare, parfois deux (Ric Sanders ou le grand John Martyn viennent donner un coup de main) quand ce n’était pas de timide bongos en accompagnement, les plus grands enchantements naissaient. A chaque composition, Bridget nous surprenait, renouvelait les tons, les notes (*) et nous laissait sur les presque 8 minutes de la composition finale éponyme bercés de chants d’oiseaux et de sa douce guitare qui nous quittait tranquillement sur la pointe des pieds qu’on se demandait finalement quels horizons nouveaux allaient être du coup ouverts à la prochaine œuvre ?


Car les surprises sonores de Ask me no questions (la composition finale donc) laissaient entrevoir un peu de changement et c’est effectivement le cas sur ce second disque, « Songs for the Gentle man » (1971). De même qu’une personnalité importante intervenait sur le second album de Nick Drake la même année (John Cale quand même sur les titres Northern sky et Fly (**) de Bryter Layter), la même chose se produit ici pour Bridget avec l’arrivée de Ron Geesin, suggéré par Peel. Geesin, rien de moins que l’arrangeur et co-auteur de « Atom Heart Mother », la superbe pièce de 23mn de prog aux accents orchestraux qui ouvre l’album du même nom de Pink Floyd en 1970.


Ici point d’architecture Progressive (***) qui formerait d’immenses constructions brutalistes mais de frêles cabanes de bois folk, parfois des maisons à la Frank Lloyd Wright (****), parfois des chalets superbement ouvragés. Ron Geesin, sait qu’il ne faut pas souffler tel le grand méchant loup sur de si beaux mais parfois si tellement fragiles ouvrages qui risquent de se rompre (le second album de Nick Drake en fera justement les frais aussi bien côté critique que public). Alors le producteur et arrangeur va apporter sa contribution par de subtiles petites touches qui ne dépareront pas l’écriture de Bridget.


D’un orchestre champêtre sur la première piste, « A day a way » qu’on jurerait issu d’Atom Heart Mother à la tendre flûte tournoyante sur « Downderry Daze » (piste 10) en passant par les chœurs discrets de « The peeble and the man » (piste 11) qui transforment une comptine en chanson de comptoir avec un certain talent (on jurerait d’y être dans ce pub à écouter la musicienne). Sans oublier le court duo voix et harmonium d’une quarantaine de secondes ultra minimaliste en fin de disque (encore de quoi rajouter vainement à une filiation peu crédible entre Bridget et Nico) ou bien le doux triangle (des clochettes ?) mixé très bas sur « Back to stay » (piste 4) pour se fondre dans la musique. L’apogée du disque se situe en son milieu, précisément les pistes 6 à 8 qui enchaînent une trilogie de chansons parfaites qui ouvrent à la fois un pont vers la simplicité du premier album et la subtilité de celui-ci. Franchement il y a tant de musiciens qui tueraient pour un « Making losing better » (Encore mieux échouer !) qui sonne comme une profession de foi et un constat personnel amer, poignant et résigné (*****). Seul petit écart dans cet océan de sublime, « Seagull-Sunday » et ses violons agressifs presqu’un brin expérimental qui casse un peu la belle homogénéité de ce disque, mais bon, comme on dit, « une goutte d’eau dans l’océan ».


A nouveau L’Histoire (avec un grand H) ne sera pas tendre avec Bridget St. John puisque ce disque comme les autres passera complètement inaperçu et ne sera redécouvert bien souvent que plus tard. Que de merveilles les gens ne voient pas… Mais si vous aimez le folk, vous pouvez à votre manière réparer ce genre d’injustice et vous délecter de ce nectar, il n’attend que vous.


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(*) John Martyn lui avait donné des conseils pour l’accordage et par la suite elle développa sa propre technique de picking… J’ai souvent l’impression d’y entendre l’influence très proche d’un autre britannique, l’immense Nick Drake. En bonus dans la réédition cd, une reprise d’un autre grand qui peut également être une possible inspiration, le « Suzanne » de Leonard Cohen, rien que ça.

(**)… Que Bridget St.John reprendra bien plus tard justement. Quand je vous disais que le Drake avait eu une influence sur elle, voilà tiens !

(***) Trois des 5 musiciens de Pink Floyd (on oublie pas Syd Barrett) ont fait des études d’architecture, il s’agit de Roger Waters, Nick Mason et Rick Wright, à la Regent Street Polytechnic de Londres. Après, est-ce que ça a joué dans leur musique, je ne sais pas, ça me semble un gimmick commun auquel on peut répondre oui et non en même temps. Oui parce que Pink Floyd est un groupe qui a son propre style vraiment différent d’autres formations britanniques durant les 70’s, Non parce que le prog est de base déjà une grande famille qui regroupe tellement d’artistes sous la même bannière des expérimentations musicales rock et que le sujet est plus complexe qu’on le croit, au point d’avoir plusieurs ouvrages qui y sont consacrés.

(****) Je pense aux albums de Joanna Newsom pour le coup comme « Ys » (2006) et « Have one on me » (2010).

(*****) : Allez hop : https://www.youtube.com/watch?v=JLPsuSYik_k


Nio_Lynes
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le 7 avr. 2025

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