Daniel Johnston est quelqu'un de très à part dans le monde de la musique. Aussi quand la presse en parle, c'est souvent par le mauvais côté qu'elle commence...


Des articles empressés s'attardent en effet avant tout sur la liste des fans du bonhomme. Pas toujours très intéressant, mais utilisé par ces journalistes comme un gage de qualité pour un artiste qui ne convainc pas toujours l'auditeur lambda dès la première écoute.
Alors on va se prêter au jeu quand même: Tom Waits, David Bowie, Kurt Cobain, Eddie Vedder, Sonic Youth, Eels, Jeffrey Lewis, Bright Eyes, Sparklehorse, Beck, Flaming Lips, Mercury Rev, Yo La Tengo, M. Ward, Wilco, Noah & The Whale, Karen O, Kramer, Jad Fair, Butthole Surfers, Spiritualized, Matt Groening,... Tous ont repris des chansons de l'artiste où l'ont soutenu à un moment ou un autre. Le coup de pouce le plus connu étant celui du T-shirt représentant la pochette de l'album de Johnston Hi How Are You porté par Cobain à maintes reprises (aux MTV Awards notamment, à des séances photo)...


D'autres parlent avant tout de ses troubles mentaux. Déjà plus pertinent puisque ses problèmes psychiatriques renforceront sa vocation artistique et influenceront son œuvre, sa trajectoire et sa carrière de manière déterminante. Johnston est atteint du syndrome bipolaire (on dit maniaco-dépressif aussi), maladie ayant pour symptômes des passages brusques d'états euphoriques à de profondes crises dépressives, comme si toutes les émotions étaient multipliées par cent. Plus tard dans sa carrière la maladie lui vaudra des crises de démences, des délires obsessionnels, un internement pendant 2 ans en hôpital psychiatrique et le plantage d'une carrière qui sans ça aurait pu être bien plus réussie, eut égard à son génie.


Cependant la maladie n'est pas la première chose qui devrait venir à l'esprit quand on pense à Daniel Johnston... Ce qui marque avant tout, ce dont ces journalistes de pacotille oublient souvent de parler, ce qui fait la singularité de Daniel Johnston, son unicité, c'est surtout et avant tout sa MUSIQUE.


Une musique qui sort d'une chambre d'ado isolé, d'un garage au fin fond du Texas et qui miraculeusement nous transperce le cœur d'émotion et de sincérité. Avec cette voix suraiguë de gamin hystérique, Johnston parle à notre âme perdue, nous rassurant et nous disant "tu n'es pas seul", nous laissant orphelin de tout cynisme.


Les enregistrements sont souvent de qualité discutable, Johnston devant faire avec les moyens disponibles, mais si on parvient à aller au-delà il y a une mine d'or, un véritable catalogue de mélodies magnifiques et d'émotions attrapées en vol. La proximité de sa musique en a gêné plus d'un... C'en est trop pour certains. Johnston se livre le plus honnêtement du monde, pleure sur scène en interprétant ses chansons, crie sa dépression... On avait jamais rien vu de plus brut et de plus direct. Une intimité totale est alors de mise entre l'artiste et l'auditeur.


Ce n'est pas pour rien que les mouvements DIY (Do It Yourself), Lo-Fi (Low Fidelity) et Anti-Folk voient en Johnston une sorte de figure tutélaire. L'argument que développent ces gens étant que Daniel Johnston est l'exemple même du "tout le monde peut le faire". Rien de plus nauséabond et de plus faux à mon humble avis. Tout le monde peut le faire, certes, mais pas au niveau de Johnston.
Qui peut en effet se targuer de retranscrire si fidèlement les émotions les plus pures du cœur en une musique aussi belle et mélodique que celle de Daniel Johnston? Hé bien c'est simple: personne. Absolument personne.
Cependant, il a donné envie à de nombreuses personnes de se lancer, de jouer de la guitare et de chanter en même temps, même si elles le faisaient très mal... Comme un besoin vital d'exprimer ce qu'on arrivait pas à dire normalement.


Me concernant je découvrais Daniel Johnston avec la vidéo qui suit il y a de ça quelques années déjà... Un choc monstrueux pour moi, un tournant dans ma vie. En voyant ce type gratter 3 accords, raconter son histoire et réussir à être aussi émotionnellement puissant, je me suis dit qu'il y avait enfin quelque chose à faire. Ni une ni deux j'empoignais ma guitare et essayais de faire comme lui, chantant des I Live My Broken Dreams désespérés dans ma chambre. La 1ère chanson que j'ai réussit à reprendre correctement... et encore et toujours une des plus belles.


Ce live est en fait mythique, ce que j'ignorais bien entendu à l'époque. L'émission de MTV, The Cutting Edge, traversait dans les années 80 les États-Unis à la recherche d'artistes originaux et représentatifs de scènes et de mouvements locaux. Daniel Johnston, figure bien connue à Austin, réussit à taper l'incruste avec les directeurs de l'émission de passage dans sa ville. Il se retrouve alors propulsé devant les caméras de MTV, un évènement déterminant dans sa vie dont il parlera souvent dans ses chansons.
Mais pour les chanceux qui tombèrent sur ce live et comprirent ce qu'ils entendaient, ce fut une révélation divine.


Si on veut cependant se recentrer sur Johnston et sa vie, son parcours artistique avait commencé bien avant The Cutting Edge. Depuis 1980 il enregistrait avec un piano et un magnéto 4 pistes ses premiers chefs-d’œuvre.
Dès sa première cassette, Songs Of Pain, enregistrée en 1980 donc, les pépites intemporelles d'émotions sont présentes en nombres. Pour s'évader de sa famille de chrétiens fondamentalistes psycho-rigides et de sa mère qui n'a de cesse de le réprimander en le traitant de grosse feignasse bonne à rien, Daniel Johnston chante ses malheurs, ses espoirs et désespoirs, son amour infinie pour une certaine Laurie, qui restera à jamais platonique...
A l'époque la maladie ne s'est pas encore révélée au grand jour et Johnston réussit à vivre à peu près normalement. Mais la maturité des émotions qu'il fait passer, couplé à l'aspect enfantin de sa voix et des mélodies faciles aboutissent à un résultat absolument unique.

Rafael_S
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le 6 avr. 2020

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Rafael_S

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