On a pris l’habitude, au fil des années et des prestations live hallucinantes de John Dwyer et ses Osees, de séparer clairement le groupe de garage rock furieux que l’on connaît sur scène, de celui proposant des albums pas toujours excitants à force d’expérimentation audacieuse. Néanmoins, depuis deux ans (le changement de dénomination de Oh Sees à Osees ?), Dwyer semble avoir à cœur de nous offrir des disques plus faciles d’accès, plus directs et plus pop, et intégrant largement l’électronique – toujours approchée de manière « punk », ne vous inquiétez pas. Après le hardcore de A Foul Form et la synthpop de Intercepted Message, le vingt-neuvième album de Dwyer depuis 2003 semble opérer une sorte de synthèse de ces nouvelles tendances, où, incroyablement, les guitares disparaissent quasiment !
C’est après une intro très garage punk traditionnelle, Look at the Sky, qui s’avère une vraie fausse piste mais nous réjouira sans aucun doute en live, en dépit de ses lyrics angoissés (« I don’t wanna live / I don’t wanna die ! / … / Hey, do you know why / We laugh before we die? » – Je ne veux pas vivre / Je ne veux pas mourir ! / … / Eh, tu sais pourquoi / On rit avant de mourir ?), que le projet de SORCS 80 (quoi que ce soit que ça signifie !) prend réellement forme. Pixelated Moon intègre les concepts synth pop de Intercepted Message dans le mix pour notre plus grand plaisir. Drug City poursuit la même approche sur un riff littéralement « stoogien », et l’apparition du saxo fou à mi course rappelle encore une fois combien Fun House fut un disque visionnaire.
Le très séduisant et audacieux Also the Gorilla… démontre plus que jamais encore la convergence entre ces deux groupes majeurs de notre époque que sont Osees et King Gizzard (Also the Gorilla… pourrait figurer sur l’un des albums des Australiens sans qu’on y trouve rien à en redire). Termination Officer reprend plus la forme d’une chanson, avec un chant moins hurlé qu’à l’habitude, une mélodie accrocheuse sur une piste de synthés lancés à fond la caisse, avec un saxo qui déboule au finish pour conclure l’affaire. Blimp semble initialement plus convenu, avant qu’une rupture de rythme à mi parcours et un chant hoquetant, haché, sur des gargouillis électroniques, ne le fasse temporairement déraper. On ne peut pas néanmoins dire que Dwyer soit plus optimiste : « I’m a new hero / I’m preachy but full of holes / I’m a plastic soul / I’m leeching in the ground below / Hey, I’m a fucking blimp » (Je suis un nouveau héros / Je vous fait la moral, mais je suis plein de trous / Mon âme est en plastique / Je m’enfouis dans le sol / Hé, je suis un putain de dirigeable.)
La seconde face s’attaque en mode punk hardcore avec un Cochon d’argent (oui, en français dans le texte !) qui est néanmoins enrichi d’électronique déjantée et de saxo free. Cassius, Brutus & Judas a presque une texture glam rock, avec ses vocaux martelés, avant que – c’est décidément une tendance claire du punk rock de notre époque – le saxo free jazz ne rompe la forme trop simplement brutale du morceau : là encore, le propos est pour le moins nihiliste (« Woah, dropping the bomb / Suddenly all my problems gone » – Woah, on balance la bombe / Soudain, tous mes problèmes ont disparu !). Zipper continue sur la lancée glam rock accéléré, mais Dwyer opte ici pour un flow plus contemporain, avant de lancer les « Come On ! Come On ! » d’usage depuis les seventies et Slade : l’un des morceaux les plus immédiatement plaisants de l’album !
Lear’s Ears ralentit notablement le rythme après l’enchaînement de morceaux échevelés qui ont précédé, et nous offre une pause bien agréable. Earthling est une excellente chanson, à nouveau synth pop, avec un beau gimmick aux synthétiseurs digne d’un tube de Future Islands. Les 1 minute et 20 secondes de Plastics semblent nous ramener au « Garageland 1977″ chanté par The Clash, enfin, s’ils avaient adopté les synthés de Suicide pour l’occasion. La conclusion de l’album, les 4 minutes de Neo-Clone, baroques et narquoises, prouvent que Dwyer ne reste pas enfermé dans la tour d’ivoire de sa célébrité « garage psyché californienne », et doit écouter des gens comme Fat White Family ou Viagra Boys. Ou bien alors qu’il a un amour qu’on n’avait pas encore identifié pour The Fall. C’est en tous cas une conclusion extrêmement ouverte, et donc positive à un album rafraîchissant… Et cette conclusion peut également être écoutée comme un espoir de recommencement, pour le meilleur ou pour le pire : « Kicking all the drugs again / Falling on your face again / Living on your knees again / Pounding on the walls again / Staring at the bars again / Crawling on the ground again / Kicking at the gods again » – Arrêter à nouveau toutes les drogues / Tomber à nouveau la face par terre / Vivre à nouveau à genoux / Frapper à nouveau contre les murs / Fixer à nouveau les barreaux / Ramper à nouveau sur le sol / Donner à nouveau des coups de pied aux dieux…).
Si l’avenir du Rock, en plus de celui de l’humanité, préoccupe toujours John Dwyer, ce bricolage futuriste, furieux et plaisant – en dépit de la noirceur de ses textes – est une belle contribution à l’évolution darwinienne de la musique que nous aimons.
[Critique écrite en 2024]
https://www.benzinemag.net/2024/08/15/osees-sorcs-80-la-musique-de-demain/