Alors, bien sûr, certains pourront faire la moue, et même la guerre : asséner que la musique de Marillion, enfouie au fin fond des cartons de la presse auto-proclamée “spécialisée”, mérite l’anosognosie journalistique qu’elle subit depuis l’arrivée de Steve Hogarth au micro et passer à côté d’une œuvre gorgée de hauteurs, d’harmonies luxueuses, de fantaisies instrumentales, de virtuosité séduisante. Allons-y ! Ou pas. Car nous pourrions tout aussi bien affirmer que ces vaines querelles de chapelles décrépies en appellent à regarder encore dans le rétroviseur et n’ont plus vraiment lieu d’être tant le bilan de la période Fish aura été purgée deux décennies durant.
Quatre ans après le surdimensionné Hapiness Is The Road, hydre bicéphale à tendances schizophréniques, il faudrait donc observer le même manège languide avec, d’un côté, les fans transis d’impatience à l’idée du chef-d’œuvre annoncé et, de l’autre, les contempteurs égrillards habituels, persuadés que Sounds That Can’t Be Made ne sera qu’un titre prophétique perdu parmi d’autres. Autant dire que ce dix-septième album des anglais (treizième de leur seconde peau) était tout particulièrement zieuté par la communauté.
Mais avant la délivrance finale et son défilé funeste de rumeurs, d’afflictions et de polémiques, revenons sur ce cortège enflammé par la diffusion de « Power », single sexy, puissant et addictif, qui dépasse immédiatement les frontières « prog-rock » sans jamais figer sa musique dans les clichés du genre. Les clins d’œil faits à Marbles (chef-d’œuvre gravé dans le marbre en 2005) engendrèrent illico les commentaires extatiques comme la méfiance la plus sournoise. Choisis ton camp, camarade. L’histoire se répète, les postures également. Marillion recyclerait ? La belle affaire !
Et quoi encore ? Avec huit titres et une heure et quart de très haut niveau, Sounds That Can’t Be Made se balance sur la corde raide. Par endroit, on frôle même l’overdose. Mais sûr de leur savoir-faire, les musiciens transportent l’auditeur dans les très hautes sphères sans jamais desserrer l’étreinte. En déployant leur flamboyance caractéristique, ils s’adonnent également à de grandioses évocations imagées qui flirtent avec un vague à l’âme atmosphérique et poétique (« Gaza », « Montreal »). Cela ne surprendra personne, ces cinq là se complètent à merveille. Surtout, on ne se lassera jamais de la voix frissonnante de Steve Hogarth, plus que jamais au centre du jeu, qui éclabousse un album parfois au bord des larmes.
Il règne ainsi une atmosphère de recueillement. Des mélodies lancinantes (« Power », « Sounds That Can’t Be Made »), bosselées et délicates (« The Sky Above The Rain »), des pulsations qui s’épanouissent dans l’intime. Tout cela nous berce au risque d’ennuyer les pisse-froid par ricochet. Qu’importe ! Haut, bas, fragile, le trip nous transperce par sa générosité, son inspiration et prouve encore une fois que malgré les années, certaines choses – et certains artistes – restent quasiment les mêmes. Loin de la poudre de perlimpinpin, Sounds That Can’t Be Made est un album nécessaire de lutte active contre la mithridatisation musicale qui s’étend.
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