L'apogé de Nurse With Wound et peut-être même l'apogée de la musique tout court. Jamais un album n'est allé aussi loin dans la musique, à un tel point que je ne sais même pas si on peut encore appeler ça de la « musique », c'est trop réducteur. Spiral Insansa est le seul album qui a réussi l'exploit de dépasser les limites de son support artistique tellement son esthétisme, sa puissance et ses émotions sont juste jubilatoires. Rien n'est compréhensible, on est lâché dans une boucle infinie qui nous dévore au fur et à mesure de l'album.
Et c'est juste magnifique.
Nurse With Wound a toujours fait des albums absolument fascinants, mais là, on est à un autre stade. À une autre dimension. Spiral Insansa (comme beaucoup d'autres albums de Nurse With Wound d'ailleurs) n'a pas de thématiques ni de narrations, c'est un pur album expérimental qui joue avec différentes esthétiques musicales pour former un tout cohérent.
Et cet album le fait extrêmement bien, il nous plonge pendant 1 heure dans un tourbillon d'émotions, d'incompréhensions et de dérangement et construit une esthétique totalement chaotique et distordu. Et tout ce tourbillon se mélange avec des répétitions, des collages sonores, des instruments identifiables, et d'autres totalement distordus. Nous sommes en face d'une grande expérimentation qui éradique toutes formes de narrations, de cohérences et de logiques pour se concentrer uniquement sur ce qui fait véritablement la musique, son but le plus primaire : l'émotion.
Et c'est pour ça que cet album fait selon moi la synthèse absolu de la musique. Car il ne va pas chercher à réfléchir, ni à reproduire, ni à interpréter, ni même à raconter. Spiral Insana va beaucoup plus loin, mais paradoxalement va beaucoup simple, il joue. Il ne fait que jouer dans l'instantanée le plus pur.
Maintenant que j'ai posé les bases de pourquoi cet album est selon moi l'un si ce n'est le plus grand album de tous les temps, je vais pouvoir en parler plus en détails.
Spiral Insansa est un album de plus d'une heure, il est expérimental, ambiant, industrielle et travaille de nombreux styles musicaux différents, à travers plusieurs mélodies, plusieurs rythme superposées l'une sur l'autre afin d'offrir à l'auditeur une diversité musicales et esthétique infinie. Il va travailler par exemple des rythmes assez tribaux, enjoués et exaltés (33min 15s - 33min 57s, 14min 53s – 15min – 52s), des rythmes de jazz dans le passage du piano (22min 21s – 22min 23s), des phases purement industrielles. Il y a même des sons de cornemuses (22min 49s – 26min 43s) et des voix masculines qui peuvent faire penser à des chants religieux (33min 02s – 33min 11s).
Et de cette première couche de diversité sonores se rajoute plusieurs sous couches sonores. Pour la plupart, leurs rythmes et mélodies sont différentes des premières couches ainsi que leurs styles musicaux. Par exemple pour le passage du piano et de la cornemuse, bien que ces deux instruments sont les plus présents, il reste néanmoins un arrière plan sonore qui surgit à certains moments et qui vient se greffer aux instruments dominants. Et le tout rend le morceau particulièrement dérangeant à écouter. Ce choix musical (qui n'est pas inédit, Nurse With Wound l'a déjà utiliser dans d'autres albums) de superpositions sonores est constamment présent dans l'album et permet de créer une véritable dimension à l'album.
Une deuxième particularité de l'album est sa répétitivité. Tout l'album fonctionne à partir de répétition de différents passages sonores, qui sont souvent modifiés, rallongés qui permettent de représenter l'idée de la spirale et du tourbillon tous deux infinis. Il y a par exemple les nombreux sons d'orgues ou les espèces de grosses interruptions sonores qui permettent (pour la grande majorité de l'album) de faire des transitions entres les morceaux.
Il y a aussi les nombreuses phases purement industrielles qui se composent de bruits extrêmement sourds et des nombreux bruits parasitaires (je pense principalement à ces sortes de sifflements qui interviennent à certains moments de l'album). Et cette répétitivité est très importante, en effet elle permet de créer un profond sentiment d'incompréhension et de dérangement chez l'auditeur tout en faisant écho au titre et à l'idée globale de l'album, l'idée de la spirale infinie.
Cependant, toute cette composition musicale que je viens de décrire dans les deux paragraphes ne va pas se maintenir tout le long de l'album.
À partir de 39min 40s, l'album va commencer à virer vers quelque chose de beaucoup plus complexe et de beaucoup plus indescriptible dans sa musique. Tous les sons vont commencer à s'imbriquer entre eux, à se mélanger dans des rythmes complètements chaotiques. C'est une succession de collages sonores industrielles qui se désagrègent au fur et à mesure sous fond d'un espèce de bruit totalement neutre et purement ambiant qui domine implacablement les autres sons.
Et cette phase permet la transition vers la dernière partie de l'album : Nihil. Nihil est probablement la partie la plus étrange de l'album , et c'est précisément là que l'album va virer dans de l'ambiant pur. Cette partie est extrêmement minimaliste, il n'y a quasiment aucunes musiques, aucuns sons à part des fonds sonores d'anciennes esthétiques de l'album et plusieurs interventions incohérentes de bruits. Progressivement, ce quasi silence va être interrompu par un crescendo de plusieurs sons, réguliers pour certains, irréguliers pour d'autres et finissent à un point culminant où tous les sons ce concentre en un seul point pour former un tout complètement saturé et cauchemardesque. L'album se finit dans un profond silence où l'on peut entendre un sample de voix distant de femme quasiment inaudible.
Voilà, l'analyse purement analytique et musicale de l'album est terminée . Cependant, une question primordiale persiste :
Y a-t-il un sens à cet album ?
À la première écoute, je pensais que non. Spiral Insana était pour moi qu'un simple projet expérimental d'un niveau inégalable mais sans plus. Mais maintenant que je l'ai analysé et que je me suis vraiment penché sur la question du sens. Et bien oui, je pense que Spiral Insana à un sens et surtout un thème, celui de la folie. Ça paraît évident dit comme ça, mais il faut quand même le trouver. Le principal point qui m'a fait penché vers cette hypothèse est le plus évident : la pochette. En effet sur la pochette, l'élément qui attire le plus s'est cet espèce d'œil dissimulé derrière des formes psychédéliques. On comprend donc que l'album va ce concentrer sur l'humain et plus précisément sur l'esprit de celui-ci.
À travers cet album, Nurse With Wound représente l'idée du chaos mental.
Tout devient clair à ce moment là. Toute cette musique a enfin un sens. Et la connaissance de ce sens ne dégrade pas l'album, au contraire il le rend d'autant plus fascinant. Car toutes les interprétations sont possibles, un bad trip ? Une maladie mentale ? On ne sait pas. On est perdu au même titre que cet individu dans les abysses de la folie la plus dur, la plus brutale et la plus destructrice qui soit ; à travers des séquences sonores hallucinatoires, dépourvues de contextes, de narrations, juste des séquences différentes qui représentent une multitude de situations liées à cette folie. Toutes les phases audibles de l'album (qui peuvent symboliser une certaine lucidité) sont balayées par diverses bruits parasitaires qui infestent la psyché. Et avec ce thème de la folie, Nihil prend tout son sens. Il n'y a plus rien, plus de passé, de présent ni de futur, juste un instant isolé au milieu de nul part, un vide intégral dont quelques bruits tentent désespérément de subsister.
Et c'est juste brillant.
Vraiment cet album me fascine et je ne sais pas si je trouverai mieux en terme de musique (peut-être 'Take care. It's a desert out there…' de The Caretaker et encore il reste un peu de contexte contrairement à Spiral Insana).