Un adieu
En voyant le film, on se dit que John Williams ne s'est pas foulé. Mais comme la BO de l'Episode VII, on se rend compte à l'écoute de l'album que le miage sonore du film ne nous permet tout...
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le 28 juil. 2020
Bande-originale de John Williams (2019)
La musique de John Williams a ceci d'extraordinaire qu'elle est bien supérieure généralement aux films qu'elle habille - c'est comme une veste de velours sur un corps difforme dont elle parvient à masquer la laideur, à quelques rares exceptions près, dont les premiers épisodes de la saga Star Wars où l'image et la musique ne formaient qu'un tout absolument indissociable, d'élégance, de noblesse et d'épopée.
(NB : spoilers dans cette critique).
Les années passant les films de la saga ont perdu en superbe mais la musique, jamais. Parce qu'elle a toujours été le lien qui unit tous les longs métrages, jusqu'à finalement devenir l'incarnation de l'âme de Star Wars. Les films ne seraient rien sans cette musique. Ils ne seraient même plus des Star Wars.
Alors oui, John Williams a peu renouvelé son répertoire dans cette nouvelle trilogie (quelques thèmes comme celui de Kylo Ren et de Rey) mais il sauve l'ensemble du naufrage. Cela fonctionne toujours : même une scène fade ressort par la musique. Prenons la prélogie. Les scènes de romances entre Anakin et Padmé ne sont digestes que parce que la musique est sans cesse présente pour rehausser l'ensemble. Ce que les mots et les attitudes pataudes des acteurs ne parviennent à dire, John Williams l'exprime avec plus de justesse encore que s'il avait percé le secret de leur âme.
C'est encore le cas ici avec The Rise of Skywalker. Si la bande originale souffre d'un rythme saccadée lié au montage épileptique du long métrage, en revanche, dès lors qu'elle prend de l'ampleur, elle enlumine le film. Rien de neuf mais que du bon, parfaitement réagancé, réajusté. On parle d'une saga, d'un space opéra, d'une gigantesque fresque. Alors, réutiliser les mêmes leitmotivs pour parler des mêmes personnages et des mêmes idées est l'évidence, surtout pour un final.
On aurait pu attendre plus de brillant mais le pari de Williams est celui du film, un film d'adieu et d'au revoir, un peu doux amer et terriblement nostalgique. Certains reprochent à la musique ici d'être moins épique qu'habituellement. A bien des égards elle ne l'est pas, même si elle sait le faire par instant. Il faut comprendre d'abord l'évolution du style musical de Williams, qui est un véritable artiste, et pas simplement un yes man qui débite sur commande des mélodies (il n'a de toute façon plus l'âge pour ce genre de choses). Depuis plusieurs années, son travail de composition est plus abstrait. Exit les marches endiablées et les grandes envolées lyriques. Ici, il s'appuie certes sur ce qu'il a fait par le passé mais il insiste beaucoup sur l'abstraction musicale : dissonance, déstructurations, motifs allusifs. Il n'est pas étonnant ainsi de retrouver des orchestrations étranges et presque expérimentales. Ces effets dissonants ont pour conséquence de laisser toute la place à la douceur ou à la mélodie lorsqu'elles réapparaissent. On a le sentiment d'un brouillard musical parfois un peu épais que subitement quelques notes viennent éclaircir.
De plus ce film n'est pas tant épique que sentimental. Il s'agit d'adieux, de deuil, et même de mort. Pas étonnant d'y déceler donc une forme de noirceur, avec Palpatine mis à l'honneur en musique mais aussi des thèmes entrêmélés entre Rey et son ancêtre, Kylo et Rey et bien d'autres, venant tisser plus subtilement que le film, les liens entre les personnages. John Williams convoque les grands thèmes de la saga : la force, Leia, Luke, Yoda. Des thèmes souvent nostalgiques, doux, intimes et romantiques. Car finalement cette trilogie est une trilogie de personnages, axée sur des aventures de famille et non une histoire avec un grand H comme dans la prélogie, vaste fresque politique. En cela on se rapproche ici du Retour du Jedi où le final était similaire, avec des musiques aux accents tragiques et mélancoliques. On trouvera aussi des allusions à l'épisode III et donc à tous les épisodes conclusifs des trois trilogies. D'ailleurs le parallèle est tel que dans le film on retrouve, lorsque Rey escalade les restes de l'Etoile de la Mort II, les musiques du duel final entre Luke et Vader, avec en prime une reprise triomphale de la marche impériale.
Le thème de Palpatine également hante le film, comme son ombre plane sur les héros : on le retrouve à plusieurs moments clés, en toile de fond. Une nouvelle composition : Anthem of the Evil, lui est dédiée, une musique sombre et noire, avec des choeurs aussi inquiétants que lugubres et des notes graves et terrifiantes, sans doute le morceau le plus étrange de cette bande originale. On retrouve aussi le thème de l'Empereur dans Join me, un morceau où Kylo Ren dévoile les origines de Rey, qui est la petite fille de l'empereur, et dont le thème se mêle au sien avec une noirceur extrême. Les thèmes de la prélogie existent également : au début de Join Me encore, le thème de l'empereur qui pervertit Anakin dans l'Attaque des Clones résonne. Il en est ainsi de toute la bande originale, parsemée de petites madeleines auditives pour le mélomane attentif.
Comme il s'agit d'une conclusion de saga, Williams convoque en effet toutes les vieilles antiennes de Star Wars : Destiny of a Jedi est à ce titre une merveille qui compile, avec des variations, les thèmes les plus beaux de la saga, la force, Luke, Leia : cette dernière bénéficie d'un thème encore plus optimiste et magnifique, allusion à sa formation de jedi et à son caractère toujours déterminé.
On retrouve la même logique dans The Rise of Skywalker, un morceau doux et lyrique qui semble combiner les thèmes de Luke, Leia, Anakin et les nouveaux thèmes de la postlogie ensemble, pour tenter de faire le syncrétisme de la saga. Le résultat est infiniment plus harmonieux en musique que sur les écrans, il faut bien l'admettre.
Le deuil et le mysticisme imprègnent également le film, car il y a des disparitions et aussi des adieux. Final Saber Duel fonctionne comme une marche funèbre, avec une teinte d'espoir, lorsque Rey soigne Kylo Ren qu'elle vient de blesser mortellement, avant de réinterpréter le thème de Leia dans une version d'enterrement, au moment où le personnage disparait. On retrouve aussi une magnifique variation du thème de Rey, mêlée à celui de Palpatine dans The Force is with you : utilisation ici du piano, ce qui est plutôt rare dans la saga, suivie d'une reprise du thème de l'empereur aux accents désespérés. C'est à ce moment là que Rey en appelle à l'esprit des Jedis pour lui venir en aide. Elle retrouve sa puissance pour vaincre l'empereur dont le thème résonne une dernière fois avec brio avant de finir écrasé par la puissance du thème de la force. Puis on termine avec Farewell où Rey et Ben se retrouvent enfin. Ben ressuscite Rey, plein d'espoir, ils s'embrassent mais le garçon perd la vie suite à l'épuisement de toutes ses forces et meurt dans les bras de la jeune femme. La musique seule suffit à comprendre à ce qui se passe, c'est à ce titre brillant, tant les séquences d'émotions s'enchainent avec facilité par la musique. La musique est le liant entre des scènes foutraques et souvent trop allusives. C'est son immense supériorité sur l'image.
A noter qu'il manque plusieurs morceaux du film qui ne sont pas dans cette compilation musicale, à commencer par un magnifique thème accompagnant la rédemption de Ben, Advice, lorsque son père l'exhorte à revenir du bon côté, qu'on peut néanmoins retrouver en cherchant les morceaux FYC, les nouvelles compositions éligibles aux prix comme les BAFTA, Oscars et Golden Globes. On trouvera aussi un excellent morceau : Coming Together, mettant en avant le courage de Rey et Ben face à l'empereur ou encore Hard to Get Rid Of, où Kylo Ren et Rey s'affrontent à distance et où elle apprend ses origines avec le thème de Palpatine en filigrane, sans oublier le morceau Parents qui évoque directement le sort tragique de ses parents.
Alors oui, il ne restera sûrement pas grand chose de cette trilogie de films à l'avenir, hélas. On ne va pas revenir dessus. Même musicalement, le bilan est maigre car il n'y avait pas grand chose de neuf à illustrer en musique mais il restera tout de même ces extensions symphoniques aux oeuvres originales. On ne peut bouder son plaisir à avoir autant de qualité. Si on ne devait garder qu'une chose de Star Wars c'est sa musique, toute l'oeuvre de Williams composée pour cette saga qui redore même les pires moments des films. En écoutant la marche impériale, le merveilleux thème de la force, le brillant thème d'ouverture, on aura toujours la curiosité pour découvrir comment cette musique a pu être mise en image. On aura toujours envie de croire que ce que nous évoquent ces mélodies puisse être à l'écran, même si le résultat est décevant et peut-être qu'on reviendra voir ce film dans l'espoir d'y trouver des images aussi puissantes que puisse l'être cette musique. On aura tort, on sera déçu, bien souvent, hélas. C'est qu'on ne peut que l'être, tant la musique de John Williams est infiniment supérieure à ce qu'elle illustre.
PS : un youtubeur a fait une analyse remarquable et bien plus technique que la mienne sur cette BO :
https://www.youtube.com/watch?v=loNf40pcon0
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Créée
le 22 déc. 2019
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