Se faire signer par un gros label, forcément, ça aide. Même si Love Is Hell n’a pas fait de carton commercial, il était suffisamment intéressant pour qu’A&M daigne éditer le prochain album des Kitchens of Distinction aux États Unis. Une broutille en comparaison de ce que ça va surtout leur permettre de gagner en matière d’aide. Puisque cette signature va leur apporter l’appui du producteur Hugh Jones, dont certains des efforts les plus notables étaient ses travaux chez The Sound et Echo and The Bunnymen (il produira également le meilleur album des Pale Saints).


Dès l’entame magnifique qu’est "Railwayed", il ne faut pas plus de dix secondes pour remarquer que le son s’est grandement enrichi. Adieu la production rudimentaire de leurs débuts, place au son chatoyant et presque psychédélique de Hugh Jones. Tout le monde semble porté par ces moyens sonores nouvellement acquis. La guitare se fait curieusement funky par instant, Patrick Fitzgerald déclame ses paroles avec assurance sur une rythmique imperturbable, absolument pas gêné par le mur de son occasionnel produit par la guitare de Julian Swales. Si vous avez longtemps cherché les héritiers shoegaze de For Against, vous pouvez foncer sans hésiter. On tient un gros, gros morceau qui est aussi spectaculaire que "In A Cave" du précédent skeud.
"Quick As Rainbows" confirme et dépasse même les attentes. C’est tout bonnement l’une de leurs meilleures chansons. R.E.M. a eu du souci à se faire quand un refrain aussi passionné, aussi addictif leur est parvenu aux oreilles… Et Morrissey jalouserait un tel lyrisme émanant d’une autre tante à lunettes comme lui.


Les pièces se mettent donc peu à peu en place. Car Hugh Jones n’a pas seulement offert une production à la hauteur de la personnalité du trio, il leur a également donné une plus grande assurance dans leur manière de jouer. Les petites imperfections de leur premier disque (qui apportaient un certain charme tout de même) se sont complétement évaporées. Écoutez ce plan de basse introductif et classieux au possible sur "Hypnogogic", vous m’en direz des nouvelles. Il ne faut pas non plus oublier cette batterie galopante qui emmène le morceau ailleurs, en dépit de son manque de mélodie évidente.


Celui qui tire le plus son épingle du jeu avec ce professionnalisme récemment acquis reste bien entendu Fitzgerald. On devine qu’il était littéralement concerné par ce qu’il chantait et cela transcendait sa fausseté. Alors avec quelques cours de chant en plus, je ne vous raconte pas le résultat. Ce type est tout simplement… Poignant. Oui, j’aurais beau farfouiller dans mon champ lexical, aucun autre mot ne convient mieux que celui-ci pour le décrire. Il pourrait chanter le générique des Télétubbies ou un cours universitaire sur l’augmentation du prix de la tomate, on trouverait ça quand même classe et émouvant.


Strange Free World a beau annoncer un groupe en pleine possession de ses moyens, il n’est toutefois pas parfait. Si aucune chanson boulet n’est à signaler, certaines font baisser la pression car pas toujours palpitantes ("Polaroids", "Within the Daze of Passion" mais surtout "Gorgeous Love" qui est la moins réussie). Il demeure très bon, même si on ne peut s’empêcher de penser que Kitchens of Distinction est capable de s’améliorer encore… Et la chanson qui confirme cette impression, c’est "Drive That Fast".


Le plus gros tube de la bande et l’une des réussites majeures des années 1990. Leur parfaite carte de visite (refrain mémorable et bouleversant, rythme effréné, atmosphère féérique et irréelle…) et un de leurs meilleurs textes en particulier ("I would never want to leave this country, where rules are fast and knowledge easy. I would never want to take you with me, unless you're open and trust my hand"). Parce qu’il est capable de concerner aussi bien la cause gay, embrassée par le groupe, que les hétéros. Ce qui est tout de suite plus intelligent et poétique que toutes les "Manifs pour tous" du monde.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 29 juil. 2015

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Seijitsu

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