Si l'album éponyme de Kekra reste son plus beau succès commercial et un album relativement apprécié chez les "nouveaux auditeurs" du rappeur de Courbevoie, il est en revanche beaucoup plus déprécié chez ses premiers auditeurs. Peut-être pas tous, mais en tout cas une frange non négligeable, suffisamment bruyante pour être visible sur Twitter et Youtube.
La faute à trois éléments majeurs que j’ai pu relever grâce à mes talents d’analyste :
- La présence suffocante de Boumidjal sur les 3/4 du projet alors que c'est un producteur assez mal-aimé et qui a fait beaucoup de mal à d'autres gros rappeurs en terme d’image et de DA. On pensera à Kaaris.
- La présence aussi de pas mal de morceaux assez ronflants dont des morceaux drill, dans une période où ce style semblait tourner en rond aux yeux de beaucoup d'auditeurs
- L'absence quasi totale de prise de risques ou d'expérimentation, chose qu'il avouera d'ailleurs sur un superbe live de notre CEO et streamer préféré Kameto
L’extra-musical peut aussi être remis en question et on peut aussi dire avec du recul que les titres bonus ne méritaient pas une édition spéciale livrée avec un t-shirt. Le forcing intensif autour du morceau moyen Pull Up 2.0 étant fatigant également. Et puis... les fameux bébés tigres à Dubaï... bon...
Après plus d’un an de silence radio – du jamais vu pour Kekra qui sortait 4 projets en 2017 -, le jeune rappeur pas si jeune que ça revient avec un nouvel album sobrement intitulé Stratos, en référence au fameux saut en chute libre depuis l’espace réalisé par le parachutiste / sauteur extrême / esclave de Redbull, Monsieur Felix Baumgartner. Cet album est donc important et porte sur ses épaules un double fardeau : celui de faire oublier l’album le plus mauvais que Kekra ait produit, mais aussi celui de faire un album à la hauteur des attentes des fans de la première heure, ceux qui aiment trop Vréel 3 et pas assez Freebase 1, des sales cons en somme.
Si l’on arrête de voir tout cela à travers le prisme du fan de la première heure, cet album porte aussi une certaine responsabilité, mais plus légère : celle de simplement venir confirmer l’essai avec un nouveau projet réussi. N’oublions pas en effet que beaucoup d’auditeurs sont arrivés depuis Freebase 4.
J’ai refusé des équerres et des compas
Si Kekra a toujours adoré mépriser et cracher sur l’industrie musicale dans la première partie de sa carrière, c’est-à-dire jusqu’à l’album Land et la fin de son contrat chez Because Music, il a petit à petit fini par embrasser totalement les codes de l’industrie. Il s’est notamment de plus en plus ouvert aux collaborations mais continue aussi et surtout de proposer au public sa musique via des systèmes de D2C (direct-to-consumer, un modèle permettant à l’artiste de vendre du merch en relation directe avec son public, comme l’explicite ce très bon article) de plus en plus casse-couilles.
Si les 4 versions différentes de Stratos, les t-shirts et les hoodies ne sont à priori que de l’extra-musical qui n’impactent pas la vision que les auditeurs ont sur Kekra, ces derniers restent néanmoins beaucoup plus frileux quand des collaborations sont mentionnées.
Témoin indiscutable de cette dualité permanente qu’évoque Kekra dans sa musique entre détestation du rap et volonté profonde de le presser comme un citron pour en tirer tous son jus, ces featurings permettront forcément au rappeur de performer encore plus dans les charts. Pas étonnant donc, surtout que si l’indignation était à priori logique à l’époque du premier featuring avec Niska, elle n’a désormais plus vraiment de sens au vu des collaborations qui se sont démultipliées, aussi bien sur des remixs d’horribles morceaux drills ou bien sur des morceaux dans les précédents albums.
Mais que valent-donc ces fameux featurings ?
Meilleurs que celui avec Niska, déjà, mais padur.
Meilleurs aussi que le featuring avec Turner et Mustang sur le fameux remix «924 » du morceau Putain de Salaire, mais était-ce vraiment difficile aussi ? Devoir de mémoire pour ce remix d’ailleurs, s’il-vous-plait.
Ingé Son, le morceau probablement le plus attendu des trois featurings, est un joli contrepied à ce qu’attendaient la plupart des gens. Au revoir le rap au kilomètre que l’on attendait tous et par la même occasion, au revoir morceau teasé dans la story Instagram d’Alpha Wann. On a plutôt à la place un morceau lent, dont toute la force réside dans les lignes mélodiques de Kekra et La Fève et les passe-passe. J’adore la mélodie du pré-refrain. Force à ceux que l’on enferme. Ça c’est du gimmick Kekra !!! Mais dommage pour le dernier rappeur du trio qui, malgré ses fulgurances, semble être un peu en dehors du morceau.
Pour les gens qui comprendront, je dirais que la performance d’Alpha Wann est un peu l’équivalent de cette performance de SCH.
L’autre featuring très attendu, c’est bien évidemment celui avec Hamza. Les deux enfants de Young Thug nés en 2015 sont depuis devenus grands et la collaboration était bien évidemment une sorte de fantasme d’auditeurs, surtout à l’époque où Vréel et H24 / Zombie Life sortaient dans la même période. Même si depuis, ce featuring n’est plus aussi grandiloquent, il restait donc important pour un grand nombre de fans.
A mes yeux, Lakehouse est un bon morceau mais je trouve que le passe-passe de gangsters est convenu et surtout qu’il souffre beaucoup de la comparaison avec des morceaux similaires sortis il n’y a pas si longtemps que ça. C’est une bonne maquette, une bonne mise à plat, mais j’ai l’impression qu’ils ne sont juste pas allés au bout de leur idée.
Et pour finir : Zamdane. Trop bien, rien à dire, merci le Maroc.
J’ai la tête dans les nuages, j’recompte le cash
Toujours en parlant de dilution tel un maître chimiste réalisant son plus beau TP, on peut aussi penser que la musique de Kekra perd parfois en identité.
Même si Kekra est là depuis un moment et qu’il a habitué son public aux fameux changements de voix, l’ombre d’autres rappeurs de la new-wave comme Khali (et probablement d’autres que je ne connais pas, je ne suis pas lapépitefr ou 1863) plane sur des morceaux tels que Nuages. Est-ce que cette baby voice était nécessaire ? Pas sûr. Est-ce qu’elle est agréable à entendre ? Pas sûr non plus mais ça aurait pu marcher sur un autre morceau, probablement.
Je trouve aussi que Combien de Temps dénote totalement avec le reste de l’album, pour une raison assez inexplicable, comme si c’était un morceau de n’importe quel autre rappeur mais pas de Kekra. Je pense que les guitares de Boumidjal m’ont traumatisé et que je n’arrive pas à passer outre quand j’entends Kekra poser sur un instrument à cordes.
Y a pas si longtemps qu'ça, j'servais des ienclis à la pelle, pas loin de l'As du Fallafel, ou de Porte de la Chapelle
Mais quoi qu’on en dise et malgré les reproches qui ont pu être émis plus haut, Stratos reste probablement le meilleur album de la deuxième partie de la discographie de Kekra.
Je pense tout de suite à l’outro du projet, bloc de glace, sorte de petit frère spirituel du morceau Frérot.
Beaucoup plus amer que le reste du projet, on arrive à percevoir le Kekra qui se veut introspectif le temps d’un morceau. L’introspection reste relative à chacun et on est loin d’un Guizmo qui livrerait tout sur la table, mais il est toujours agréable de voir la carapace du rappeur se craqueler pendant un peu moins de 4 minutes. De même, mon morceau préféré Spend That est dans le même registre et je le trouve diablement efficace, que ça soit au niveau de l’interprétation de Kekra ou du refrain.
On a aussi un petit peu de fan service.
Mise en contexte : ayant très peur de l’omniprésence de Boumidjal sur le projet, je me suis empressé dès la sortie à minuit du projet de regarder tous les crédits des morceaux avant de lancer le projet.
Quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai lu le nom des producteurs de la piste 5, intitulée Trop Tard !
Tel un acteur de la Comédie Française, j’essaie surtout de souligner ici le retour des Picard Brothers sur un projet de Kekra après une longue absence. Le morceau en question, mélange de 2step et de jersey drill épileptique offre un terrain de jeu gigantesque au rappeur. Si ce croisement semble un peu improbable au début et sonne sur le papier comme une cacophonie digne des meilleurs albums de Merzbow, on s’amuse en vérité forcément en écoutant ce titre et on apprécie forcément le clin d’œil / la passation avec un autre style.
Dans le même style, Glock 18 me fait étrangement penser à un vieux morceau de Vréel 3, TLB.
Et quoi qu’en diront les gens qui ont aimé l’album éponyme de Kekra, la quasi-absence de Boumidjal fait en réalité beaucoup de bien au rappeur. Exit donc les morceaux médiocres comme Numéro 9.
Pour parler de producteurs, la disparition du producteur à la visière noire opaque laisse plus de places à d’autres. Logique me direz-vous. Je vous rétorque que je n’avais pas d’autres idées pour introduire les beatmakers et que c’est comme ça et pas autrement.
On voit ainsi, pêle-mêle :
- Tomek Zyl sur Disconnect, qui est un très très bon morceau par ailleurs mais dont on retiendra à mon avis surtout l’anecdote assez improbable qui en est ressorti concernant Tony Allen
- Myth Syzer et whatever51 sur Glock 18 et qui ouvrira, j’espère, des collaborations avec des petits rappeurs avec Kekra
- Ikaz et binksbeats mais j’ai la flemme de regarder encore les crédits sur Genius désolé les gars…
- Et surtout Kezo qui est présent sur la majorité de l’album et qui mixe quasi tout. Je crois aussi.
Du beau monde qui permet à Kekra de changer un peu d’air sans pour autant opérer un changement à 180 degrés.
Mon talent c'est une épée de Damoclès
Est-ce que Stratos, finalement, a eu les reins suffisamment solides pour ne pas craquer sous le poids de toutes ses nouvelles responsabilités ?
Commercialement parlant et au niveau des nouveaux auditeurs, les premiers signes sont plutôt au vert : accueil dithyrambique sur Twitter et Instagram même si Kekra est un habitué, circuit de promo assuré et surtout un nombre de streams record pour les 24 premières heures d’exploitation du disque. On parle de 2.5 millions de stream, soit 1 de plus que pour l’album Kekra et surtout quasiment le même chiffre qu’Aya Nakamura qui sortait un disque le même jour que lui. Un choc des titans donc, dont les chiffres qui en sont sortis désignent l’album d’Aya Nakamura comme un semi échec ou Kekra comme une pop star, à vous de juger.
UPDATE priorité au direct !!!!!
Plus de 6000 ventes en 3 jours pour Kekra, donc on est sur un bon score pour lui à priori, j’écris ça juste avant d’upload.
Cependant, pour le public de la première heure, je pense que Stratos sera assez clivant. Énormément centré sur les toplines, les mélodies et sur les gimmicks mais abandonnant aussi nombre de convictions initiales qui faisaient le sel de sa personnalité, certains seront laissés sur le bas-côté avec cet opus. Non pas qu’il soit mauvais, mais on en demande beaucoup aux gens qu’on aime et encore plus aux gens qu’on aime qui ont sorti Vréel 2 et 3. Stratos peut être considéré comme un bras d’honneur à une bonne moitié de Vréel 3 et cela sera probablement perçu comme tel par quelques individus ici et là. J’espère simplement pour eux qu’ils n’ont pas acheté de place pour l’Olympia, parce que jamais Kekra ne jouera Charbonne ou Sans Permis. Je pense aussi que l’on retiendra beaucoup de toplines, quasi aucune ligne (mon jeu de mot sur 20 svp ?). Ça, c’est aussi quelque chose qui laissera des gens sur le côté.
J'rêve d'arrêter le son avant qu'la terre gronde
Pour conclure, de deux choses l’une :
- On regrettera que les titres bonus aient été dispatchés aux quatre coins de la France par Mondial Relay. Au vu des quelques extraits sortis, il semblerait que ces morceaux soient très bons et méritent leur place sur Stratos, probablement à la place d’autres. En espérant qu’à terme, ces morceaux soient tous disponibles en streaming.
- Je pense que dans une moindre mesure, Kekra va devoir regarder de plus en plus dans le rétroviseur. S’il ne connait probablement plus aucun morceau de Vréel 2, ses fans de la première heure, eux, les connaissent. Plutôt bien même. Il faut donc faire très attention à eux car si jamais il n’arrive pas à chanter 9 milli en concert, ça va faire mal.