Est-ce que c’est un coup de génie ? Est-ce que je crois au coup de génie ? Je crois au coup de génie. Sinon je ne serais pas là. Je crois au truc qui tombe du ciel, alors qu’on n’attendait rien. Alors le petit miracle, on l’a depuis le début avec Sade. Une présence magnétique, une voix idem, des chansons à chaque fois inspirées, et sur mesure. Un troisième album frais comme le serait un premier opus d’un groupe inconnu, qui apporte quelque chose de neuf. Le génie de chansons simples qui sont des récréations dans le pop commerciale de l’époque, (et de maintenant). Innocence, sentiment, superficialité assumée, et travail d’orfèvre, des arrangements magiques. La pureté du son est magique. Des instruments par petites touches, des riffs, sur un tempo savant et presque lent. Comment ça arrive à nous faire danser alors que c’est aussi lent ? Mystère. Un écho subliminal. Stronger Than Pride. Tout est dit. Le parfait slow soul des années 80-90. Une soul qui renaît de ses cendres, et ne garde de sa contrée d’origine que le sentiment d’abandon, la tristesse évacuée au profit de la nostalgie. Que des chansons d’amour. Même quand le tempo s’accélère, ça reste love.
Paradise. Qui s’en plaindrait ? Quand c’est aussi bien fait, on pourrait chanter la liste des courses dessus, ça reste paradis. Un tempo répétitif, mais une basse ronde, simplement virile. Un vrai chant à lui tout seul. Pourquoi ça fonctionne à ce point ? Et bien je dois avouer que je ne sais pas. La princesse de la new-soul, ou smooth jazz, pour les puristes, même quand elle s’épanche sur un refrain répété en boucle, ça va droit au cœur. J’ai dès le premier jour été séduit par cette voix, qui se prolonge comme une caresse, et qui ne se casse jamais. Like Paradise.
On a toujours tendance à oublier que c’est un groupe. Tout le monde s'est mis au service du lead vocal, indiscutablement, le supplément d’âme, le génie qui sortira de la boîte, mais ça reste un groupe. Le tapis de synthé sagement posé, et lumineux, indispensable. Les cocotes de guitares funk, qui claquent sur Nothing Can Come Between Us, juste ce qu’il faut, où il le fallait. Des musiciens hors pair, qui ont l’intelligence d’en faire le moins possible. Aller au but. Le son. La fille va faire le reste. La beauté d’un arpège de guitare acoustique. Haunt Me. La nostalgie est dominée par le groove, et l’album survit à cette contradiction.
Arrive le post-disco : Turn My Back On You, et là, j’hallucine. J’hallucine à chaque fois que j’écoute ce morceau. Je ne pensais pas qu’il était de Sade, à la base. Ce groove là, il aurait été parfait pour Grâce Jones. Changement d’univers, ou plutôt virage à 180 degrés, réussite parfaite. C’est comme susurré à l’oreille, et c’est là que c’est bon. On sent l’héritage, bien sûr. Marvin gaye, Curtis Mayfield et les autres. Mais pas de posture, pas de redîtes, pas de message. Le plan cool, avec une crooneuse qui me le donne plus que dix crooners mâles actuels. Faire le moins, pour faire ressentir le plus.
Keep Looking. Le sax est moins présent sur cet album ci, sûrement parce que les compositions ne l’imposait pas. Clean Heart. Rien-à-dire. Give It Up, sonne comme un bœuf, percu contre voix, un chœur pour cette fois vraiment soul power, chant de la basse, du travail d’artiste sans faille, avec un magnifique solo de trompette qui sort de nulle part ! De la dentelle alchimique, dans la pop acoustique fin 80, qui donne des perles, et des frissons, et rassure un peu sur l’avenir de cette musique là.
En effet, qui aurait put croire que la soul mélangée à la variété jazzy à l’anglaise, donnerait quelque chose comme ça ? Respectueux de la tradition, et amoureux de la dance en même temps. Plus moderne, de son temps, donc iconoclaste sans le vouloir vraiment. D’où le charme « exotique », peut-être ? Appropriation de la musique afro-américaine, et recréation. Du coup, on ne sait plus quel nom donner à l’expérience. Moi j’ai un faible pour New-soul. D’autres disent down-tempo, car c’est jamais nerveux, smooth-jazz, ambiant, dance… ? Passons. Voici venir le meilleur.
Nous entrons dans un moment d’intense de satisfaction. Le moment de grâce peut-être...
I’d Never Thought I’d See The Day.
Il n’y a rien. A part deux notes à la basse. Un clavier fondu dans la réverb, magnifiquement présent, discret en même temps. Aucun rythme. La voix dans la stratosphère, et la musique dans notre épiderme. Ils ont un truc. Même quand elle crie, c’est smooth, c’est un soupir écorché, et chargé, ÉNORME. Et puis cette fin ? La chanteuse s’était déjà effacée de plus en plus. Là, elle est carrément sortie du studio. Instrumental, avec ceux qui restent. Sax lead. Très curieux, très ambiant. Toujours aussi maîtrisé, semblant improvisé. Comme sorti d’un autre album. Très curieux, surprenant. Siempre Hay Esperanza. Album de Sade qui entérine la mainmise des claviers de Hale. Le sax de Matthewman reste plus dans l’ombre, mais quel résultat !
Siempre Hay Esperanza. Très métissé, musique électro, mécanique et dansante comme d’une mécanique folle.