En 1999, Stupid Dream voit Porcupine Tree entamer un diptyque qui le fera flirter (dangereusement diront certains) avec les sphères sucrées de la pop-music, avant de changer de braquet en 2002 et le célèbre In Absentia. Il s'agit de la troisième grande période du groupe, dont je vais résumer l'histoire musicale en une phrase, pour votre plus grand bonheur. Après des débuts bruitistes et psychédéliques, Porcupine Tree devient le Floyd des nineties, avant de se transformer en orfèvre pop-prog et enfin, à l'aube du siècle, d'achever sa mutation en incarnant un style art/pop/prog/metal qui est le résultat d'une fusion entre ses périodes précédentes et la passion nouvelle de Wilson pour le gros riff qui tache. Réducteur et partiellement juste, mais vous avez-là les deux grands concepts de ce que l'on nomme vulgarisation.
Je rassure tout le monde, ici on aime faire dans le détail, je ne vais donc pas me faire prier. Mais tout d'abord, conceptualisons un peu. Toutes les théories et argumentations stylistiques déployées dans cette chronique valent également pour Lightbulb Sun, seules les mélodies et quelques aspects particuliers diffèrent.
Avec Stupid Dream, Porcupine Tree transforme son prog mâtiné de pop en pop teintée de prog. Conséquence logique, l'album est plus efficace et accessible. Plus vendeur aussi, mais il ne faut pas y voir un défaut, bien au contraire: je ne sais pas vous, mais moi je préfère nettement une belle chanson à dix minutes de fond sonore. Mais il a fallu en passer par là pour que Wilson mette un peu d'eau dans son vin, ou plutôt ajoute une nouvelle corde à son arc. D'architecte d'ambiances atmosphériques, il est devenu trousseur de mélodies imparables, de riffs pertinents, d'intros ou de gimmicks éloquents. Ancien Maître des Enigmes, Steven Le Grand annonce maintenant la couleur sur chaque pièce du puzzle: il n'y aura que peu de passages surprenants ou d'ambiances changeantes, on s'éloigne assez nettement des tendances progs des albums précédents. Vous comprendrez (définitivement je l'espère) la supériorité des Britons dans ce genre de chose lorsque je vous apprendrais que toutes ces phases, périodes, influences et façons de faire chères à PT proviennent d'un terreau fertile entre tous, le productions musicales britannique entre 1963 et la fin des années 80. C'est le talent exceptionnel de ce peuple mélodique, avoir su composer un assemblage dingue de styles issus du monde entier autour d'une âme, un tronc commun. Comme un élève s'amusant à imiter ses auteurs préférés, Wilson a pastiché tout ce qu'il a pu, imitant en cela ses glorieux ancêtres, Beatles, Stones ou Genesis, pour ne citer qu'eux. Quand sort Stupid Dream, ça fait déjà quelques années qu'on a compris que la blague était terminée. Et pourtant...
Et pourtant la question demeure. Wilson, comme certains de ses compatriotes parmi les plus créatifs, a une capacité impressionnante à décliner le style qu'il a déjà le mérite d'avoir su créer. Il n'est jamais évident d'atteindre l'originalité ultime, l'identité. Le plus dur est à venir quand il s'agit de jongler entre fidélité à un son et capacité à se renouveler sans faire n'importe quoi. Objectif atteint avec Stupid Dream, que l'on peut résumer en deux concepts: aucune chanson n'aurait pu être écrite par quelqu'un d'autre que Wilson; la progression entre Signify et Stupid Dream est frappante.
Pur miracle? Loin de là, question d'état d'esprit plutôt. Disons qu'en 1999 Porcupine Tree est encore un groupe en quête de statut, en pleine évolution, et dans ce moment délicat où les prémices d'une belle carrière future se font sentir il n'y a que peu de droit à l'erreur. C'est ce qui explique sans doute que Stupid Dream est un album particulièrement soigné, et cette impression de calcul se fera plus forte encore avec Lightbulb Sun. Pour autant tout n'est pas parfait, et bien entendu tous les morceaux ne se valent pas. Je retiendrai donc les deux hymnes pop qui entament l'album, Even Less et Piano Lessons, et l'excellent Stranger By The Minute. Les sommets de cet opus sont atteints avec Pure Narcotic, merveille de joaillerie de haute précision acoustique, et surtout Don't Hate Me, dont le solo de sax jazzy est proprement étourdissant.
C'est un Porcupine Tree nouveau que l'on entend dans Stupid Dream: plus carré et pop, moins bordélique et planant, une vraie réussite et un grand album.