Le rock alternatif a des racines lointaines : le Velvet Underground dès 1967, Patti Smith en 1975, The Dream Syndicate en 1982… Ce n’est qu’à la fin des années 1980 qu’il devient un véritable genre à part entière. On peut symboliquement dater sa naissance à 1988, année où sortent deux chefs d’œuvre qui deviendront rétrospectivement des pierres angulaires du genre : Daydream Nation de Sonic Youth et Surfer Rosa des Pixies.
Le groupe de Boston, composé de Black Francis (chant et guitare rythmique), Joey Santiago (guitare solo), Kim Deal (basse et chant) et David Lovering (batterie), a en effet eu une influence incalculable dans l’univers du rock. Si bien que Nirvana reconnut avoir essayé d’imiter le son des Pixies avec « Smells Like Teen Spirit » et que Thom Yorke refusa que les Pixies passent avant Radiohead au festival de Coachella en 2004 : « les Pixies ouvrant pour nous, c’est comme les Beatles ouvrant pour nous ».
Ceci est à peine exagéré au vu des moments d’anthologie que le groupe a alignés sur ses deux premiers albums. Ainsi, difficile de faire entrée en matière plus fracassante que « Bone Machine ». Au niveau vocal, les « ouuuh » de « Caribou » et les « ooh ooh » de « Where Is My Mind » ont fait date. Formidable chanson sur les troubles de la dissociation utilisée abondamment dans le cinéma (voir notamment Fight Club), cette dernière présente aussi l’un des riffs de guitare les plus mythiques de l’histoire du rock.
Si ce sont ces moments d’anthologie qui font que l’on s’intéresse à Surfer Rosa, ce sont ses passages moins évidents qui font que l’on s’y attache : les refrains vénères de « Break My Body », l’emballement épique de « Something Against You », les vociférations grisantes de « River Euphrates », la tension toute en retenue de « Cactus », l’esprit punk entêtant de « Oh My Golly ! », les divagations démentes de « Vamos »… Eh non, en effet, les Pixies ne donnent pas dans la ballade romantique !
Le groupe est connu pour sa fameuse dichotomie exposition/explosion, dont Surfer Rosa présente plusieurs cas d’école. L’emballement rythmique et la guitare grasse qui l'accompagne produisent toujours leur petit effet. Ces revirements sont annoncés avec discrétion, comme sur « Gigantic » où la survenue d’une guitare maladive rend l’explosion inévitable, et se manifestent différemment sur chaque titre : tantôt c’est le couplet qui pète, tantôt c’est le refrain, à moins que ce ne soit aucun des deux ou les deux…
Loin d’appliquer une recette, les Pixies prennent plaisir à bousculer les structures des morceaux et à mettre en relief ce que bon leur semble : des gémissements de guitare électrique, un solo débraillé, un passage parlé, un cri, des coups de caisse claire, un son de basse rondouillard... Au niveau des paroles aussi, c’est un peu le délire : outre le fait qu’ils chantent indifféremment en anglais et en espagnol, certains sujets abordés sont assez scabreux. « Broken Face » est franchement malaisante avec ses « uh-hu, uh-hu » et la légèreté insolente avec laquelle est chanté son texte sur les mutilations
Trente ans après, les « lutins » jouent en concert les morceaux de Surfer Rosa avec toujours autant de passion et de simplicité, comme s’ils étaient encore un jeune groupe débutant qui aspirait à faire ses preuves. Respect total.