Cette fois-ci, le timing est parfait. Les Screaming Trees débarquent sur une major, juste avant le début de l’ouragan médiatique qui déferla sur le grunge, et font paraître le disque qui va pouvoir tout changer dans leur existence avant d’entrer dans l’œil du cyclone.


Un an et demi sépare les sorties de Uncle Anesthesia et Sweet Oblivion, mais c’est comme s’il s’agissait d’un autre groupe. Les galères, la malchance, le manque de promotion et le départ de leur batteur (parti rejoindre les fabuleux Truly), tout cela a fini par payer. Ce sixième album est celui de la consécration. Principalement grâce à un single, « Nearly Lost You », tube qui leur apporta la seule couverture médiatique de leur carrière. Si ce n’est pas le succès de « Smells Like Teen Spirit », c’est malgré tout une sacrée avancée de la part d’une formation au culte, jusqu’alors, sous-terrain. Une incroyable chanson annonçant un disque aussi grandiose que peu connu. Ce hard rock alternatif psychédélique à l’esprit pop chanté par un crooner à la voix grave et nonchalante. Car la grande nouveauté par rapport aux précédents albums, c’est la disparition totale de la composante punk. Un mal pour un bien parce ce que le groupe perd en énergie, il le gagne en profondeur et en émotion.


Est-ce pour cette raison que Sweet Oblivion n’obtint jamais le succès colossal qui lui revenait de droit ? Car si son premier single fit enfin parler de cette bande et lui permit d’apparaître sur la chouette BO du film Singles, elle ne permit pas à l’album d’atteindre les scores hallucinants de ses collègues (300 000 copies aux USA, ce qui en fait tout de même leur sommet commercial). Dirt apportera son lot d’hymnes désespérés que la jeunesse américaine attendait. Le grunge bucolique et poppy des Trees n’étant, décidément, pas une priorité.


Tout cela est désespérant parce que cet album est un des nombreux aboutissements du genre. Un aboutissement audible rien qu’à la voix de Mark Lanegan. Son timbre s’étant progressivement enrichi avec les litres de houblons que le bonhomme absorbait au fil des années. Sa gorge maltée s’accordant parfaitement avec une musique devenue plus posée. L’humeur étant blues (« Dollar Bill », « Winter Song » et le poignant « No One Knows »), au point que ce disque des Screaming Trees est celui qui se rapproche le plus de la discographie solo du chanteur à la même période. Le songwriting étant moins direct, plus complexe, même si quelques perles pop répondent à l’appel (« Nearly Lost You » et « Butterfly »). A la différence que la musique est plus rock grâce à la paire Conner redoublant d’inventivité pour sortir des rythmiques et des riffs qui tuent (« The Secret Kind », « Troubled Times » et son refrain ravageur ou encore le déferlement de fuzz sur « Julie Paradise »).


Œuvre maudite, Sweet Oblivion est passé à côté des ventes dépassant l’entendement alors qu’il avait toutes les cartes pour y parvenir. Sa sobriété et sa sagesse n’étaient probablement pas des valeurs pouvant user de la séduction de masse au début des années 1990. Cette sortie est pourtant d’une classe massive. Un savant mélange entre les sons du psychédélisme (« Shadow of the Season » et ses percussions mystérieuses) et un chant d’une rare expressivité. Un mariage inégalé entre la soul de Mark Lanegan et un grunge élégant. Ce qui donne cette musique à la saveur millésimée tel un bon vin. Et comme tous les bons alcools, ça se vieillit, ça se déguste en prenant son temps et ça gagne en force avec les années.


Vingt cinq ans après sa parution, le verdict tombe : Sweet Oblivion est un chef d’œuvre.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
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le 19 déc. 2017

Critique lue 360 fois

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Seijitsu

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