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Le hip-hop, quand il n'est pas contestataire et politique, est bien souvent une ode à la célébration de l'argent et de la réussite. Drake serait rangé dans cette seconde catégorie. Pourtant, son album Take Care est, dans son ensemble, morose et plutôt sombre. Drake confesse et raconte ses obsessions, déceptions, et amours du passé. Certes, l'égo-trip et le bling bling sont bien là, mais comme on le voit sur l'artwork, cet environnement luxueux met en scène Drake seul et pensif. Tout au long de l'album, on bascule entre le Drizzy à l'égo extrême, et un être sensible qui n'a pas peur de se montrer émotif et « fucked up ».

A 25 ans, 2 albums et une multitude de mixtapes, Drake aka Aubrey Drake Graham aka Drizzy en est au point où il peut regarder derrière lui et faire un point sur sa vie. C'est de ça qu'il s'agit sur « Take Care ». Non, pas qu'il regrette sa célébrité, mais que c'est quand même bien le bordel.

Le fantôme de Marvin Gaye plane sur ce disque, celui de Here, My Dear sortant d'une rupture, lui aussi rongé par des regrets et autres obsessions de son passé. Il y a bien sûr le titre Marvin's Room qui en est une allusion évidente, mais aussi dans le texte, comme sur le titre d'ouverture Over My Dead Body où il parle de « Shit you said through the grapevine ».

Il questionne les codes du hip-hop en ne se montrant pas si macho et sensible. Alors que les autres MC's jouent les hustler, Drake nous raconte, par exemple, qu'il a honte de coucher avec des putes. Il est bien sûr critiqué pour ça par ses pairs, mais ne semble guère s'en soucier. On pourrait penser qu'il a fait cet album pour lui même avant tout. Il considère d'ailleurs tous les artistes invités sur l'album comme sa famille, ses amis proches, son crew. Il ne pourra pourtant jamais nier sa soif de reconnaissance lorsqu'il scande: « I swear, it's been two years since somebody asked me who I was » ou « I'm the greatest my country's ever seen » (on rappellera quand même qu'il parle du Canada). Il parle lui même d' « overdosed on confidence ». Mais c'est sans doute cette confiance en lui qui lui permet de s'émanciper de ces strictes codes du hip-hop. Musicalement, il n'a pas peur d'avoir de longs passages pratiquement sans beat, et alterne entre rap et chant (qu'il maitrise très bien, sorry Kanye). Mais il reste des titres aux productions super puissantes et des passages où la vitesse du flow de Drizzy ferait suer Twista. La place de cet album dans le paysage hip-hop est indiscutable.

Drake n'aime pas l'idée de faire ressortir un single de son album. Il l'a conçu comme un tout et tient à ce qu'il soit écouté comme un tout. Et étonnamment, il s'écoute agréablement dans son intégralité. On a même encore faim pour des titres bonus, surtout pour une bombe comme « The Motto« .

Noah « 40″ Shebib a produit la quasi totalité des titres tandis qu'une bonne dizaine d'invités sont venus apporter leurs contributions. On ressuscite même des morts, Static Major est samplé sur Look what you've done tandis qu'on entend encore la voix de Gil Scott-Heron sur le titre Take Care, titre qui a fait beaucoup de chemin. En 2010 I Take Car of You sort sur I'm New Here, le dernier album de Gil Scott-Heron. Un an plus tard, Jamie XX remixe ce dernier dans son intégralité qui sera renommé We're New Here et le titre en question devient I'll Take Care Of U. Drake ne modifie pas beaucoup ce remix, il remplace la voix de Gil par celle de Rihanna, et Shebib ajoute un beat plus puissant. Une fois n'est pas coutume, le résultat est très réussit.

Abel Tesfaye de The Weeknd, jeune protégé de Drake lui aussi originaire du Canada, apparaît sur deux titres. L'intégrant dans sa famille, il a même étendu son blase, sa marque OVO (October's Very Own) à OVOXO. XO signifiant non pas hugs & kisses &, mais Ecstasy & Oxycontin, étant le blase de The Weeknd. On retrouve aussi Rick Ross sur Lord Knows, fidèle à lui même et toujours « allergic to broke » avec lequel il a débuté le projet de mixtape YOLO (You Only Live Twice) qu'on espère découvrir cette année. Sont également présents Kendrick Lamar, Nicki Minaj, Birdman, Lil Wayne, Andre 3000, Stevie Wonder (à l'harmonica).

Dans le paysage musical, Take Care se nourrit clairement d'influences Post-dubstep. Si il est de plus en plus délicat d'utiliser ce terme comme définition d'un genre musical, il existe assurément une scène que l'on peut connecter : Mount Kimbie, James Blake, Jamie XX, SBTRKT, The Weeknd, etc... Drake a confié au Rolling Stone Magazine que l'album de James Blake est le seul disque qui fut joué durant l'enregistrement.

Drake a beau affirmer dans ses interviews qu'il a fait cet album pour lui parce qu'il avait besoin de dire ces choses, on ne peut s'empêcher d'esquisser un petit sourire en coin en observant la recette de cet album. Et il est difficile de nous faire croire qu'un artiste ne vise pas les charts lorsqu'il invite Nicki Minaj ou Rihanna sur son album en 2011.

On prendra le parti d'accepter ses contradictions. Après tout, tant mieux si aujourd'hui on peut danser sur du Jamie XX dans tous les clubs, on s'est fait à la voix de Beyoncé sur Pon De Floor, on se fera à celle de Rihanna.