Pour ceux qui pensent que le fan-club du groupe ne comprend que quelques néohippies bourgeoisants, malingres et romantiques, rappelons que l'un des articles les plus enflammés publié outre-Atlantique sur le groupe était signé Tommy Lee, batteur à biscoteaux tatoués de Mötley Crue.
Dans ces conditions, on ne s'étonne même pas quand on entend le placide bassiste Georg Holm parler, évoquant la nouvelle direction prise par l'album Takk, de rock'n'roll' ? sans doute un mot islandais intraduisible. Ceux qui ont vu récemment le groupe sur scène ne seront pourtant pas surpris : Sigur Rós joue effectivement plus puissant, plus simple et concis aussi, même si les nappes brumeuses ou les envolées menaçantes de cordes restent une présence constante. On n'avait ainsi jamais entendu les Islandais jouer aussi fluide, léger, décontracté. L'opacité et la part d'ombre qui allaient si bien à ces chansons se réveillent ici les yeux écarquillés, hébétés par cette lumière nouvelle : Sigur Rós a ouvert ses rideaux. Et ça peut être une déception pour ceux qui, dans cette pénombre, avaient appris à discerner de fascinants détails, de complexes reliefs. Mais l'époque, dans toute sa noirceur et sa menace, a visiblement imposé aux Islandais ce réflexe d'autodéfense, cette poussée d'optimisme. Chris Martin, le leader de Coldplay, confiait récemment : Dans toute l'histoire du rock, il n'y a que cinq artistes qui me sidèrent encore, dont j'écoute les disques en me disant : Mais comment ils ont fait ?? Ce sont les Beatles, Dylan, Marley, Kraftwerk et Sigur Rós.? On ne sait pas pour les autres, mais on peut lui filer le secret des Islandais : il suffit de conserver une âme d'enfant et d'entretenir les rêves d'hier. Car même si elle se fait moins volatile, moins informelle, la musique de Sigur Rós reste une insistante invitation à la rêverie, aux échappées belles. Georg ou son batteur Orri se reconnaissent volontiers en incurables rêvasseurs, ayant gâché leur scolarité en longs songes éveillés. Georg : J'adorais quand mes parents m'emmenaient en voiture à l'école. A moitié réveillé, je divaguais en regardant la neige ou la pluie, en écoutant la radio, en me repliant peu à peu dans mon monde L'Islande et ses paysages se prêtent à ça. Ça ne s'est pas arrangé avec l'âge. J'en ai même fait mon métier.? Sigur Rós, depuis cinq ans, patiemment, à la main, a ainsi donné corps à son fantasme, en rachetant dans la banlieue nord de Reykjavík, au bord d'un ruisseau, une ancienne piscine municipale. Avec l'huile de coude, mais aussi le fruit de ses ventes inespérées aux Etats-Unis (le groupe jouera cet automne devant 18 000 personnes au Hollywood Bowl) et d'une signature très lucrative avec une major en Europe, Sigur Rós l'a ainsi transformée en studio de pointe où il peut, en parfaite maniaquerie et autarcie, concevoir et enregistrer toutes ses musiques. Alors qu'il y a dix ans, Reykjavík fascinait par son bouillonnement culturel, la ville semble aujourd'hui avoir été abandonnée aux poseurs et hipsters. Dans les cafés branchés de la ville, c'est à qui s'affichera, en écrivain torturé ou musicien incompris, avec le plus rutilant portable Macintosh et la coupe de cheveux la plus audacieuse. Georg :? Je croise des gamins de 20 ans qui n'ont jamais rien produit ou prouvé mais qui parlent et se comportent comme des artistes fondamentaux. Pour eux, nous sommes déjà des vieux cons, mais je refuse de participer à leur jeu, de piétiner les autres pour grimper l'échelle sociale de l'art Nous les appelons la jeunesse 101 (du nom du code postal du centre de la ville), la génération la plus blasée et cynique que j'aie jamais croisée.?(Inrocks)
Les membres de Sigur Rós n'ont pas chômé depuis (), troisième album paru en 2002, multipliant les collaborations et projets excitants. Les Islandais ont ainsi composé la bande-son de Split Sides, création du chorégraphe américain Merce Cunningham. Fragile et inventive, la musique était jouée chaque soir en live, plaçant le groupe dans une posture dont on l'imagine friand : en retrait, dans la fosse, loin des regards tournés vers les danseurs. Puis on retrouvait Sigur Rós en backing band de luxe sur l'indispensable dernier album de The Album Leaf, In A Safe Place (2004). Entre 2002 et 2OO4, le collectif trouvait encore du temps pour monter le colossal spectacle Odin's Raven Magic, avec un choeur, un orchestre et un marimba géant conçu par ses soins. On espérait que ces expériences incroyables viendraient nourrir un nouvel album différent, mais il faut bien s'y résoudre : Takk ressemble en tout point à ses grands frères. Soit un disque sublime et merveilleux par éclats, mais épuisant sur la longueur. Les Islandais ne sont pas de grands compositeurs et cèdent bien souvent à la facilité (morceaux répétitifs et délayés avec crescendo de rigueur, mélodies qui dissimulent leurs faiblesses derrière une instrumentation imposante). Et pourtant, beaucoup de chansons tiennent debout et touchent au coeur, comme Gong (rythmique roulante et guitare acérée), Glosoli ou Hoppipolla (ces titres, quand même). Toutes bénéficient d'un sens inouï de la mise en son et d'une instrumentation d'une richesse stupéfiante. Parfois, un moment de grâce passe en étoile filante dans un morceau quelconque (la fin de Hufupukar, avec son concert de glockenspiel puis ses cordes et cuivres). Parfois, il ne se passe rien. (Magic)
Il va falloir s'habituer à ne pouvoir régler facilement leur compte aux productions du groupe islandais : après "Ágaetis Byrjun", l'album de la consécration mondiale, aussi magique pour les uns que pénible pour les autres, le suivant "( )" avait fait office de parenthèse plus ou moins désenchantée et soporifique, dans laquelle le déroulement uniforme des chansons le disputait à la joliesse des formes. Il a fallu au groupe toutes sortes d'embardées stylistiques et de projets incongrus (la musique d'un spectacle de Merce Cunningham, l'ambitieuse co-composition symphonique d'Odin's Raven Magic - à quand le disque ?) pour relancer une dynamique de composition nouvelle, et voir si l'inspiration était toujours là. Le résultat, sous l'espèce de ce quatrième album "Takk" ("merci" en islandais), est à la croisée de toutes ces expériences. Il prolonge un peu le sortilège d'"Ágaetis Byrjun" en misant sur des compositions au déroulé progressif, jouant sur l'accord des aigus du chanteur et des guitares grondantes, sur des effets de reliefs accidentés, des successions de montée en puissance et d'accalmie soudaine ; il mise aussi sur la grâce de percussions mélodiques, dans l'ensemble remarquablement utilisées, rappel de la conception du fameux marimba de pierre pour "Odin's Raven Magic", qui semble ici porter enfin les fruits attendus ("Glósóli" ou "Sé Lest", ce dernier charmant aussi par une double fin délicate, fanfare puis frissonnement de cordes) ; il ajoute de-ci de-là quelques effets électroniques discrets, dispose des climats délicats pour mieux les bouleverser par des effets symphoniques ("Hoppípola") ou électriques ("Með Blóðnasir"). La voix de Jon (parfois démultipliée ou soulignée par un chœur) s'est déliée, à l'aise aussi bien dans les vocalises les plus hautes, que dans les jeux animaliers (hululement, miaulement, etc.) ou le passage de voix de tête en voix de gorge. L'inspiration est revenue, évidente notamment dans la variété des climats traversés et des astuces pour déjouer la linéarité des propositions. Le groupe pèche encore parfois par grandiloquence, accumulant dans le même morceau la rythmique martiale, les stridences des guitares et la saturation vocale, croyant compenser par la puissance ses quelques baisses d'inspiration, et prolonge un peu trop la traversée musicale à notre goût. Cela détone d'autant plus dans un ensemble qui donne par ailleurs le sentiment qu'il est au meilleur de ses capacités. Mais, merci quand même.(Popnews)
L’année passée Sigur Rós nous avait doublement surpris. Tout d’abord avec un maxi d’electronica intitulé "Ba Ba/Ti Ki/Di Do", puis en s’acoquinant à nouveau avec leur compatriote Hilmar Örn Hilmarsson, les Islandais avaient donné une série de concerts célébrant la culture de leur pays et la rencontre entre musique traditionnelle, musique contemporaine et musiques actuelles.
Pourtant dès les premières notes de ce quatrième album, les Islandais remettent les pendules à l’heure, nous réintroduisant en douceur dans leur univers onirique, atmosphérique et majestueux. "Takk…" n’est pas non plus une redite des épisodes précédents. Le groupe gagne d’ailleurs en efficacité sur des montées en intensité significatives, comme sur Saeglopur, digne du meilleur de Mogwai et autres Godspeed You! Black Emperor.Pourtant dans le même temps, les morceaux de Sigur Rós n’en sont pas moins très intimes, tant ils touchent à des émotions qu’il est difficile de réfréner. La musique et surtout la voix de Jónsi Birgisson plongent au plus profond de chacun, lisant alors comme dans un livre ouvert. Les arrangements sont toujours aussi subtils et sans doute un peu plus variés, là une mélodie de piano, ici des nappes de violons, ailleurs une fanfare valsante (Sé Lest)…Avec ce nouvel album, Sigur Rós nous montre qu’ils n’a rien perdu de sa magie ni de sa capacité à nous absorber dans son monde, telles des sirènes bienveillantes souhaitant nous délivrer de nos noirceurs quotidiennes. Le Grand Nord n’a jamais été aussi doux et chaleureux, alors pourquoi se priver plus longtemps d’un si délicieux hydromel. (indiepoprock)
Les gosses, ça aime les sucreries. Ils sont prêts à en ingurgiter des quantités déraisonnables jusqu'à se rendre malades, surtout lorsqu'ils en ont été privés. Bonne nouvelle pour les fans de Sigur Rós, sevrés depuis plus d'un an: le groupe aux dents les plus cariées du monde effectue un retour en fanfare avec un quatrième album. Qui s'avère très éprouvant à aborder. Mais avant de casser... du sucre sur le dos de nos quatre Islandais, allons-y de notre petit couplet méprisant "c'était mieux avant", décidément trop usité ces temps-ci. Hiver 2003. Sort dans les bacs ( ), pavé remarquablement construit sur l'autisme, rédigé par des individus sans doute suffisamment proches de leur sujet pour en parler avec pertinence. Afin d'éviter l'indigestion ressentie sur le trop long Ágætis Byrjun, les Islandais ont recours à une astuce: scinder le disque en deux parties indépendantes (une première douce-amère, et une deuxième d'une froideur abyssale). Belle pirouette qui permet aux musiciens de jouer sur les contrastes sans avoir l'air dispersé, et à l'auditeur de s'avaler un album de 74 minutes sans trop broncher. 2004, les Islandais enfoncent le clou avec l'EP Baka Tiki Dido, brouillon génial sur lequel ils exhibent leur maîtrise absolument confondante de la production : on peine d'ailleurs à croire que ce subtil enchevêtrement de textures glacées soit le fruit d'un art consommé de l'improvisation.
De prime abord, Takk... (mais quel titre stupide, vraiment!) semble n'être le devoir bourré d'effets de manches, béat et sans ossature de l'élève appliqué qui n'a rien à dire. Et qui, malgré cela, en tartine des pages et des pages. N'en doutons pas, le single "Glosoli" fera naître un sourire sur toutes les lèvres (a. légèrement entrouvertes, un peu de bave à leurs commissures relevées; b. tordues dans un rictus de dédain devant cette stupidité brandie en étendard et ce côté rêve-de-spot-publicitaire-pour-assurances). Etonnant de voir comme ce qui sera salué partout comme "un écrin de beauté apaisante" (je vois ça d'ici) me donne une irrésistible envie de distribuer des baffes. L'infect "Sé Lest" réussit à utiliser la quatuor à cordes Amina à contre-emploi. "Saglópur" fait office de délateur et pousse Jónsi Birgisson sur le banc des accusés : sa touche personnelle pousse en effet le vice à muer de jolies parties instrumentales en chansons absolument suffocantes. Tant et si bien qu'à mi-parcours, grande est la tentation d'abandonner la lutte et de balancer le cd par la fenêtre.Puis la Beauté surgit d'un coup, sans que l'on sache l'expliquer ni la maîtriser, sur le phénoménal "Mílanó". Peut-être parce que l'on retrouve sur ce titre de 10 minutes la violence - terrible! - dont les Islandais se sont montrés capables sur les conclusions de ( ) et Baka Tiki Dido; peut-être aussi parce que la musique de Sigur Rós a besoin d'espace, qu'elle se savoure dans la dilution. Mais les très réussis "Gong" et "Heysátan", aux format plus ramassés, mettent à mal cette théorie. Voilà toute la complexité de Takk... et l'origine de mon trouble : expliquer que l'on ressente le médiocre comme parfois le superbe sur des compositions pas si différentes que cela les unes des autres, car utilisant les mêmes ficelles, les mêmes ingrédients. Il transpire de cet album un trop plein d'émotion, difficilement supportable si un certain nombre de conditions initiales ne sont pas satisfaites : un état d'esprit réceptif, une sorte de sensibilité momentanée et les oreilles bien accrochées. Trop de cordes dégoulinantes, trop de chant suraigu à se boucher les synapses et les conduits auditifs plombent cet album bourré de choléstérol. Plus que tout, la performance vocale de Jónsi Birgisson fera office d'arbitre; vibrante pour les uns, usante pour les autres, elle illustre le paradoxe de Sigur Rós, à savoir faire naître des sentiments tout à fait contradictoires selon les dispositions de l'auditeur. Et c'est lorsqu'elle se fait plus discrète que l'évidence, déjà esquissée sur Baka Tiki Dido, saute aux yeux: un nouvel album de Sigur Rós totalement instrumental serait un cadeau du Ciel.(liability)