Jusqu'alors, The Alan Parsons Project était un groupe dont je n'avais jamais entendu parler de ma vie, bien que je connusse certains de leurs morceaux sans autant en connaître l’interprète (un peu comme Mr Blue Sky d'Electric Light Orchestra: quasi tout le monde connaît la chanson mais pas le groupe) et je susse qu'Alan Parsons était l’ingénieur du son sur Dark Side of the Moon de Pink Floyd. Il a aussi été producteur de plusieurs albums réussis: on peut citer les premiers albums du groupe pop rock écossais Pilot (le bassiste David Paton, le guitariste Ian Bairnson et le batteur Stuart Tosh, issus de ce groupe, seront des fidèles membres du Alan Parsons Project) ou le magnifique Year of the Cat d'Al Stewart. Eric Woolfson, que l'on pourrait qualifier comme le véritable architecte du groupe, a eu aussi une carrière honorable, ayant joué en tant que pianiste de session et été manager pour plusieurs grands artistes, tels que Carl Douglas (qui a vécu un succès commercial assez important avec son single Kung-Fu Fighting). Les secrets du succès musical n'étaient conséquemment pas inconnus à ces respectables gentlemen. Un beau jour, je retombai sur la chanson Eye in the Sky, la savourant et prenant cette fois vraiment conscience de son interprète. C'est ainsi que je commençai a chercher de ma propre volonté les morceaux de ce groupe plutôt méconnu, tombant sur leurs hits, tels que I Wouldn't Want to Be Like You, Games People Play, Don't Answer Meet Sirius(tout le monde la connait, celle-la!). Etant intéressé par leur direction musicale, je décidai alors d’écouter leur premier album: Tales of Mystery and Imagination, sorti en 1976 et faisant l’éloge des histoires macabres du poète américain Edgar Allan Poe à travers les genres du rock progressif et symphonique.

Le disque s'ouvre sur l'instrumental (une des "marques de fabrique" du groupe) A Dream Within A Dream, qui commence par un magnifique passage aux claviers, accompagné d'une flûte a bec, qui donne une atmosphère calme, planante et paisible qui m'a immédiatement plu. Mais le morceau démarre véritablement avec sa ligne de basse, sur laquelle interviendra peu après une batterie consistante et des guitares, jouant un motif a la fois quelque peu mélancolique et apaisant, marqué par le saisissant climax de batterie vers la fin du morceau. Il se termine ensuite paisiblement sur la même ligne de basse simpliste qui l'a si bien introduit. C'est d'ailleurs encore une fois cette basse iconique qui ouvre le morceau suivant, The Raven. Soudain surgit une voix complètement déformé: c'est celle d'Alan passée au vocoder (ce serait la première chanson rock a utiliser ce dispositif) qui nous mène a l’éclatement du thème principal qui, de ses claviers et ses cors majestueux, sans oublier l'excellent refrain "Nevermore!", entonné par Leonard Whiting, ne peut que nous entraîner par sa génialité. L'ambiance médiévale de ce thème exprime parfaitement bien à mon sens le chemin musical de l'album que désirait Alan et Eric. Après s'être momentanément calmé sur des choeurs et de belles petits notes de piano, le morceau repart de plus belle dans une sorte de marche solennelle, répétant une partie du thème principal, avant de s'apaiser de nouveau, débouchant sur la voix triste de Whiting, qui chante ainsi le seul vrai couplet de la chanson. Ensuite, c'est de nouveau au tour du thème principal de faire irruption, accompagné du même refrain "Thus quoth the raven, nevermore!", la chanson se terminant de la même façon que sa première partie: dans le calme lugubre installé par les choeurs. C'est justement ce doux retour au calme qui permettra au morceau suivant, The Tell-Tale Heart, de commencer de plus belle. Si la voix complètement dégénérée d'Arthur Brown m'a un peu surpris au début, j'ai adoré le riff principal ainsi que la courte mais émouvante intervention orchestrale. Et que dire du passage des choeurs démoniaques qui surgit du néant vers le milieu de la chanson, accompagné d'une puissante section rythmique? C'est sans aucun doute l'un des moments les plus glaciaux de l'album, admirablement exécuté. Avec ses riffs plutôt occultes et son agressivité, The Tell-Tale Heart nous offre un hard rock que l'on ne reverra quasiment plus jamais dans la discographie du groupe, ainsi qu'un premier aperçu d'un genre particulièrement cher aux yeux de Parsons et Woolfson: le rock symphonique. Et en effet, ils ne s'en priveront pas et en feront un usage absolument parfait sur le titre suivant, The Cask of Amontillado, un veritable chef-d'œuvre de cette catégorie musicale, extrêmement bien poli, qui devrait, comme certaines chansons d'Electric Light Orchestra ou Atom Heart Mother de Pink Floyd, figurer parmi les plus importantes références de ce genre alliant rock et musique classique.

Je désirerais ajouter un commentaire sur le remix de cet album. Si les deux versions ont effectivement leurs charmes et leurs défauts, je me dois cependant d'affirmer que la meilleure façon d’apprécier l'oeuvre est dans son remix de 1987. Sur celui-ci, on trouve des soli de guitares fantastiques de la part du génial Ian Bairnson qui enrichissent le côté rock de l'oeuvre, une narration d'Orson Welles qui rajoute une bonne dose de mystère a l'atmosphère particulière, et, le point le plus important selon moi, la basse et les percussions embellies, plus agréables que leur son sec et dur de la première version.

Nous en étions au magistral The Cask of Amontillado, une chanson d'une beauté inestimable. Commençant avec trois notes au piano, reprises tout de suite après par des cordes, le morceau me frappe par la voix remplie de malheur et de tristesse de John Miles. Deux couplets, chantés à la perfection, accompagnés par un arrière-plan rempli de cordes, bien que discret, ouvrent enfin le premier pont de la chanson, entre le chant et le thème principal. Un autre chanteur nous rejoint alors, Terry Sylvester, et seconde extrêmement bien Miles, avant que les choeurs solennels de l'arrière-plan ne sombrent subitement dans le néant pour faire place à un gimmick de cordes tendu, qui lui-même finit par laisser place au thème principal, épique, héroïque, et grandiose. Il est absolument solennel, lui aussi, ce thème principal, et son écoute est pour moi une véritable extase auditive. Délaissant abruptement celui-ci, la chanson recommence calmement avec un couplet de Miles, qui débouche sur le pont de la chanson, plus ou moins similaire, avant de repartir de plus belle sur le thème principal, qui conclut majestueusement le morceau sur un arrière-plan sonore rappelant celui d'un marché. C'est ce dernier qui ouvre alors la cinquième plage du disque, The System Of Dr.Tarr and Professor Fether. Avec le riff principal, le ton est donné: ce sera de nouveau celui du hard rock. D'un point de vue musical, il s'agit sans aucun doute d'une des chansons les plus simples du disque, mais elle est également d'un registre sérieux, étant très entraînante et possédant un refrain génial (paradoxalement un peu sombre). Elle se termine sur un très long fade-out, constitué d'applaudissements (bien mérités!), d'un riff basique et saturé, ainsi que d'une partie de flute à bec rappelant le début de A Dream Within A Dream. Puis, c'est le silence: cette extraordinaire épopée musicale, mélangeant de façon extremement convaincante rock et classique et d'une accessibilité inattendue, qu'est la Face A, vient de s'achever. Avant de changer de côté, je ne puis m'empêcher de rester bouche-bée face à ce que je viens d'entendre. C'était tout simplement merveilleux. Heureusement que ce n'était que la moitié car mon périple repart avec la Face B, constituée de la longue suite de seize minutes The Fall of the House of Usher, elle-même divisée en cinq mouvements (i. Prelude, ii. Arrival, iii. Intermezzo, iv. Pavane, v. Fall), et l'attendrissante ballade To One in Paradise. La première partie de The Fall of the House of Usher change complètement de registre par rapport à celui du System of Dr.Tarr and Professor Fether: c'est un veritable prélude orchestral, sans aucun instrument rock (si ce n'est que la basse de la fin du mouvement), qui reprend le début de La Chute de la Maison Usher inachevée de Claude Debussy! C'est donc un morceau purement classique que je ne peux m'empêcher d'admirer pour l'ambiance lugubre et glacial qu'il procure à l'auditeur. Il paraitrait même qu'il s'agit de l'un des tout premiers enregistrements sur disque de cette œuvre incomplète. Prelude se termine sur un ostinato de basse, qui lui même se fond dans un arrière-plan sonore décrivant une tempête. Quelques secondes plus tard, les notes apaisantes bien que tendues d'un orgue retentissent, devenant de plus en plus serrées alors qu'une nappe véloce de synthétiseur s'installe. Alors que l'orage semble avoir atteint son apogée, des coups violents et sourds se précèdent, annonçant ainsi le retour du rock avec une batterie, une basse, et une guitare électrique, jouant un passage plus calme et rempli de mystère. C'est la même nappe de synthé qui conclut cette partie, pourtant commencé il y a si peu, introduisant par la suite Intermezzo, qui fait office de pont entre Arrival et Pavane. Cette dernière commence de nouveau avec une basse (encore!) à laquelle se mêleront ensuite un kantele et un cymbalum, instruments à cordes donnant un climat un peu oriental. Pavane atteint son apogée avec l'intervention précieuse et intense de la batterie, qui forme d'un pas assuré la fin du mouvement, qui s'enchaine dans la cacophonie orchestrale, elle aussi glaçante, de Fall, qui conclut de façon abrupte la fin de cette merveilleuse suite. The Fall of the House of Usher, à la différence de The Cask of Amontillado, n'est pas à proprement parler du rock symphonique, car le marriage entre les deux genres ne s'est pas fait: chacun est resté sagement de leur côté, comme pour donner une sorte de leçon sur l'essence de la musique classique. Et que de mieux pour conclure Tales of Mystery and Imagination avec le très ravissant To In Paradise, chanté par Sylvester? Ce morceau est relaxant, mélancolique et joyeux en meme temps, et propose des envolées lyriques tout simplement touchantes ("I believed in my dreams" et "When one kind word meant more to me than all the love in paradise" étant de parfaits exemples de la profondeur émotionnelle des textes). C'est sur un long fade-out (comme sur System...), auquel vient se joindre une vielle voix répétant mot pour mot les dernières lignes du poème éponyme de Poe, que se conclut cet album fastueux qu'est Tales of Mystery and Imagination - Edgar Allan Poe du Alan Parsons Project.

1. A Dream Within A Dream (10/10)

2. The Raven (10/10)

3. The Tell-Tale Heart (10/10)

4. The Cask of Amontillado (10/10)

5. (The System) Of Dr. Tarr and Professor Fether (10/10)

6. The Fall of the House of Usher (10/10)

i. Prelude (10/10)

ii. Arrival (10/10)

iii. Intermezzo (9/10)

iv. Pavane (10/10)

v. Fall (10/10)

7. To One in Paradise (10/10)

(Le gras indique ma chanson préférée du disque)

En regardant les notes ci-dessus, vous aurez compris que pour moi, cet album ne peut que avoir un beau 10/10. Sans nul doute, il s'agit de mon album favori après Atom Heart Mother de Pink Floyd, le considérant somptueusement parfait et émotionnellement triomphal: un véritable sommet comme The Alan Parsons Project n'en fera plus par la suite. Jusqu'à Ammonia Avenue, je trouve tous leurs albums sympathiques et musicalement très réussis, mais toutefois toujours un niveau en dessous de celui-ci. Je l'ai déjà dit pour Atom Heart Mother, mais toi aussi, Tales of Mystery and Imagination, tu vis et vivras toujours dans mon coeur.

Herp
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le 30 août 2024

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