Damien en Ukraine
Lorsque cet EP a été annoncé, j'étais content d'avoir de la musique récente de la part de Saez d'une part, et j'ai vite déchanté en l'écoutant, même si ça aurait pu être bien pire.Depuis Le...
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le 11 déc. 2022
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"Telegram" est le premier disque de Saez sorti après la mort de mon adolescence (ce qui remonte à l'hiver 2019, le Covid était encore vu comme une grippe ordinaire, ça nous rajeunit pas tout ça). C'est donc le premier album que je découvre en ayant avec l'artiste une relation beaucoup moins "personelle". Dans toutes mes autres critiques de ses albums, je contextualise à fond (SURTOUT "Ni Dieu ni Maitre"), or là il n'y a pas de solennité particulière et je n'aurai pas de relation avec l'album, même si je sais très bien ce que je faisais la première fois que je l'ai écouté et restera, malgré tout, accolé à une période de ma vie. Parce que ça fait parti de la magie Saez.
Magie qui est extrêmement rageante ! Depuis 2019, je suis resté quand même bien au courant, et croyez-moi qu'il n'y a pas eu grand-chose de positif jusqu'à la publication de "Telegram". Son site culture-contre-culture s'est enfoncé dans des promesses d'albums non-tenus, surtout au niveau des dates ; le morceau "La chanson du vieux réac" est l'équivalent du "Corona Song" de Renaud, mais avec du non-sens dans le texte en plus ; le message de l'avocat (si c'est bien lui) censé décourager des partages gratuits de morceaux ; "l'Art n'est pas un référendum", excuse-nous de nous exprimer, et surtout heureusement qu'on peut débattre sur une proposition artistique... Et que dire de ce magnifique projet des deux concerts uniques, l'un à Paris l'autre dans les arènes de Nimes, l'un en acoustique l'autre en symphonique, avec des morceaux inédits promis, mais organisés de manière si erratique ! A l'heure où j'écris, le premier concert a eu lieu et a reçu une réception positive quasi unanime (c'est vrai que le magnétisme du personnage fait que même des chansons moyennes deviennent très bonnes en live), je n'évoque pas le résultat ; j'évoque les difficultés des spectateurs ayant payer à se faire rembourser, devenus méfiants à cause tout simplement du manque de communication autour de l'évènement, même pour les lieux et les dates ! C'est assez dingue, et de manière générale, Saez doit arrêter à tout prix de se prendre pour un "original de la communication", il brouille tout le monde plus qu'autre chose : non seulement il a perdu une grande partie de son public à cause de ça, mais en plus ça aboutit à des choses incompréhensibles comme l'organisation de ces concerts, et dans le cas de "Telegramm" cette histoire de code qui donne accès à un site pour se repartager les recettes du disque avec tous les acheteurs, pour qu'ensuite ces dits-acheteurs "soit fasse des dons soit paie leur chauffage". Je ne vais pas le cacher : ça me fait extrêmement de peine de voir un homme aussi intelligent à la base se trainer lui-même dans la boue comme ça. J'ai marché des nuits entières avec lui, je ne sais pas où je serai aujourd'hui sans l'avoir découvert, et comprendre qu'il s'est perdu définitivement dans ses addictions et ses problèmes dépressifs, ça me rend aussi triste que d'apprendre que mon grand-frère ne sera plus jamais le même. En positif, je veux quand même souligner "Enlève ton masque", une chanson pop qui, malgré là aussi une absence de cohérence dans son texte (l'autre bout du monde et le Sud, c'est quand même pas tout à fait le même TGV), a un vrai charme pour moi.
Et puis, "Telegram". Un EP de 5 titres donc essentiellement basé sur la guerre en Ukraine, mais qui traite des drames de la guerre de manière plus globale au fur et à mesure que l'album avance. Une bien belle intention donc, et Saez accorde ses musiques et ses paroles à la perfection avec elle. Les arrangements sont sobres, pudiques, ils sont là pour porter un message de paix. Et le message passe, ça c'est sûr. Je ne suis pas d'accord que le sujet est traité de la même manière 5 fois : "Ievguinia" est un traitement individualisé et symbolique, "Telegramm" est une histoire fictive (ou personelle) pour l'identification, "Dans les métros" est un constat social de la peur chez la population, "L'enfant des guerres" est une ode au pacifisme de manière globalisée, et "La Beauté du coeur" est tout simplement un hommage aux personnes au "grand coeur". Maintenant... L'intention reste scolaire. Nous connaissons toutes les nuances autour du conflit (même s'il ne faut évidemment pas se tromper d'opresseur non plus) et cette guerre aura également révélé des choses tout aussi terribles sur notre propre sol ("le bon et le mauvais immigré"...). L'intention reste scolaire, et Saez semble avoir écrit l'album entier pour qu'il puisse être complètement écouté en école primaire/collège, notamment pour expliquer ce conflit en cours d'histoire, quelque chose du genre. Dans l'absolu pourquoi pas ! Mais sur "l'enfant des guerres", le moins bon morceau, c'est tellement flagrant que les paroles en deviennent juste franchement niaises. En plus d'un manque d'intérêt dans la musique tout court qui porte plus préjudice à la chanson qu'autre chose...
Et pourtant, je suis globalement clément. Parce que l'intention reste belle... Et qu'elle sert tout de même de levier pour activer des moments très forts. "Ievguinia", je ne suis pas entré dedans tout de suite, mais elle m'a émeut de plus en plus, malgré ses carences en texte ("Je parle français couramment", qu'est-ce que ça fout là, qu'est-ce que ça change à sa situation et à sa mort pour son pays ?) et son minimalisme mélodique à l'excès. Il se passe quand même quelque chose : une forte sensibilité sous-jacente qui suinte la sincérité, qui nous emmène en Ukraine et auprès des combattants, et l'émotion l'emporte malgré tout. Peut-être que l'affectif joue dedans, que je lui pardonne des défauts ! C'est une vibration inexplicable, que je ne trouve nulle part ailleurs que chez lui, et qui fait que j'embarque malgré tout à chaque fois. Pareil pour "Dans les métros" : je n'approuve pas du tout tout le passage où il sous-entend que le peuple Russe laisse faire Poutine, qu'il a complètement choisi son camp. Sans lancer de débat sur le sujet, je pense pouvoir dire que tout le peuple Russe ne valide pas forcément, et SURTOUT vas-y Piotr de Udachny, va t'opposer à Poutine, rentre dans le Kremlin, va péter la gueule à Vladimir ! Evidemment que ça ne se passe pas comme ça, sinon j'en connais un qui aurais été dégagé depuis longtemps... Et pourtant, le reste du texte est très beau, l'interprétation vraiment émouvante. Mais le morceau qui est vraiment réussi de A à Z, qui m'a mis les larmes aux yeux, me donne des frissons à chaque fois, c'est "Telegramm". Justement parce que c'est personalisé et identifiable. Mais aussi parce que la mélodie est très belle, les arrangements mélancoliques et d'une élégance discrète... On ressent cette histoire, et les quelques vers autobiographiques qui, une fois encore, marquent instantanément ("et moi l'ivrogne en fin de vie"...). "La Beauté du Coeur", bien que beaucoup plus sobre et retrouvant un texte primaire, a pour lui deux atouts magnifiques : une mélodie charmante, et un dernier vers qui me semble important : "il n'est pas de plus grand courage que d'être gentil". Personellement je l'ai toujours pensé, j'ai toujours cherché à l'appliquer le plus possible malgré que tout dans la vie nous pousse à l'inverse, et ça m'a fait un grand bien d'entendre un artiste capable de tels joyaux prononcer cette phrase. Ca aussi c'est la magie Saez.
Contrairement à "Messina" ou "J'accuse", les deux meilleurs opus de Damien selon moi, ce n'est pas le genre de disque où l'on ressent le besoin de le réécouter un grand nombre de fois. C'est un instantané, une volonté de témoignage (même de loin) sur l'évènement, destiné davantage à un futur éventuellement plus aimant envers l'artiste, que pour un présent qui lui est plus hostile que jamais. Sans doute pour ça que la composition se plie à cette volonté, quitte à donner parfois l'impression d'être presque feignante. Du coup, j'aime bien, même si "Telegram" aurait pu avoir une vision beaucoup plus densifiée, et pointer du doigt les travers de l'Occident face à ce conflit, comme il l'aurait fait en 2010.
Et j'espère que Natalia va bien, si elle existe...
Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Itinéraire 2022, autoroute de la luxure sonore (DU BON SON SA MERE)
Créée
le 27 août 2023
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