J'aurais littéralement détesté ce groupe, si je m'étais limité à une première écoute. Peu de choses les différenciaient alors, de mon point de vue, de ces nouveaux artistes qui ont un bon beatmaker et un sexpot incroyable, sans avoir de réel talent. Non, j'ai pas accroché en écoutant "Enter the ninja", même si visuellement c'était déjà pas mal, il faut le dire. En écoutant "Rich Bitch" j'ai carrément laissé tomber l'idée de les écouter.
Et puis quelques mois plus tard, je tombe par hasard sur "Evil Boy" et je me surprends à repasser le morceau plusieurs fois. C'est très étrange, et ça fonctionne grâce à des beats réellement recherchés, malgré l'apparente pauvreté des sons (synthés cheap, grosses caisses très détendues et de très rares kicks, contrastant avec une basse très, très lourde et omniprésente), ainsi qu'aux flows spécifiques des deux MCs.
Plus tard, je me procure l'album Ten$ion, en espérant découvrir quelque chose qui vaut le détour, et je ne suis pas déçu !
Ninja est exceptionnellement technique, avec des flows qui surfent littéralement sur les instrus, qui elles-mêmes se permettent de partir dans tous les sens. Yo-Landi Vi$$er est un alien à part. Elle est servie par sa voix provocatrice, jouant énormément sur l'ambiguité entre son sex appeal et son allure de gamine de 14 ans. Avant qu'elle ne devienne officiellement un sex symbol en posant pour la couverture de FHM, les principaux commentaires à propos de Die Antwoord, et plus particulièrement de Yo-Landi, étaient du style "My penis is so confused". Tu m'étonnes, Elton.
Ce qu'il y a de fabuleux dans l'album Ten$ion, c'est que j'ai retrouvé une construction d'album qui a un sens, contrairement à beaucoup d'albums récents qui semblent être un simple empaquetage brouillon de morceaux au hasard. Ici rien à voir, construit comme un véritable album de hip-hop, avec quelques "skits" assez sympas (je pense à uncle Jimmy par exemple), des morceaux plus mélodiques s'interposant entre deux bombes survitaminées (U Make a Ninja Wanna Fuck, Fok Julle Naaiers par exemple, même si le premier album comporte plus de morceaux "tranquilles"), une intro et une outro assez géantes, malgré le côté "album de 2012, donc obligé on va balancer un peu de Dubstep", et toujours une recherche constante du beat hardcore/mélodique, ce qui est plutôt une prouesse.
De temps en temps, les deux loustics nous montrent qu'au delà de leur génie marketing (dont je me tamponne le carquois en passant), ils sont présents sur la scène hip-hop depuis moultes années (presque 20 ans pour Ninja, aka Watkin Tudor Jones et bien d'autres alias), et que si Yo-Landi a apporté un son très "rave" à Die Antwoord, le premier amour de Tudor Jones est incontestablement le Hip-Hop. Il n'y a qu'à écouter "So What?" pour s'en convaincre, ou encore revenir sur l'album $O$ pour écouter la dédicace à Cypress Hill.
Il faut d'ailleurs développer un tantinet la carrière de Tudor Jones, si on veut réellement comprendre ce qui se cache derrière Die Antwoord. Je ne saurais que conseiller vivement aux curieux de taper "Watkin Tudor Jones", "The Constructus Corporation", "The Original Evergreen" (de 1995, album ressemblant fortement à Cypress Hill), "Max Normal" et bien d'autres encore. Il s'agit des différents groupes fondés par Tudor Jones et parfois Yo-Landi Vi$$er au cours de leur carrière, et on comprend très vite que Die Antwoord est une formidable représentation scénique. D'un hip-hop under-underground qui relève du génie, agrémenté de créations artistiques étonnantes (peluches et autres trucs), berçant tour à tour dans un son jazzy, électro ou plus classique, et agrémenté de présentations Power-points en live, ils sont passés à ce que l'on connaît aujourd'hui : personnages white trash ultra-travaillés, univers gangsta et bling-bling, provocateur et moqueur... Le Tudor Jones de Maxnormal.tv est métamorphosé. Exit le costard, place aux dents en or et aux moustaches de poisson chat. Pour Yo-Landi, adieu le look d'écolière bien sage, les phases de kick sous powerpoint, bonjour le sex-symbol et le flow agressif.
C'est une véritable représentation en 5 albums que le duo (+ le DJ Hi Teck, qui reste un mystère) met en scène, avec une rigueur implacable. Ajoutez à celà des live électrisants, des punchlines simples et efficaces, des interviews hilarantes et un univers graphique tout simplement hallucinant (le clip I fink U freaky a été réalisé par Roger Ballen, ça se sent et c'est du génie), et vous obtenez le groupe qui me fait le plus bouger la tête ces derniers temps.