The Ark
7.6
The Ark

Album de Chad & Jeremy (1968)

Depuis quelques années, on nous vend le principe (technologique) de la réalité augmentée comme une idée neuve.
Alors que rien n'est plus faux.
J'irai même jusqu'à prétendre que la chose est presque aussi vieille que l'humanité. Ça s'appelle la musique.


Songez à l'ensemble des activités humaines, et essayez d'en trouver une seule qui ne se voit pas rehaussée, embellie, étendue, lorsqu'un papier cadeau musical l'emballe. Attention, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas écrit: la meilleure façon d'écouter de la musique consiste bien entendu à ne rien faire d'autre que de se concentrer sur le plaisir provoqué par un recueillement attentif et concentré. Mais dans notre monde Trumpidant et agité, ce genre de fausse inactivité devient de plus en plus compliquée à obtenir.
A moins d'être un étudiant solitaire sur-entrainé.
(Sauf qu'il parait qu'à la longue, ça rend un peu sourd)


Regarder un paysage. Boire un verre. Regarder un paysage en buvant un verre.
Faire du vélo. Etre au volant de nuit. Lire. Travailler. Ou même délicatement déféquer devant un soleil couchant, sur les rives d'un lac, aux côtés d'un lapin qui confesse ne pas être gêné par la merde dans les poils (faire son vieil ours, quoi), chaque moment de nos existences peut soudain revêtir un caractère un peu magique, accompagné de quelques notes égrenées dans le bon ordre et selon le tempo idéal.


La musique est donc indiscutablement un rehausseur de réalité. Un augmentateur d'existence. Un bigger zen life.
Chacun a ses amplificateurs propres. Le vivier est presqu'infini. D'autant plus accessibles qu'il en existe des universels. Un aria de Bach, un deuxième mouvement de la 7ème de Ludwig, une favorite thing de John ou un Calypso de Bob, la liste est sans fin.


Et puis, il y a les enjoliveurs secrets, les boosters persos. Les petits trésors intimes.
Ce sont les meilleurs.
Dénicher de tels coffres forts à plaisir est une chose ardue. Heureusement, mon Saint-John est là. Malgré mon passé de vieux cambrioleur, le larron a encore quelques portes fracturées d'avance. Pensez si les codes secrets de la pop lui sont familiers: il les ouvre à l'oreille.


Le félon filou m'a encore filé un filon. Du fripon devin, le divin frisson.


Grâces soient rendues au poivrot, j'ai à nouveau vécu une de ces secondes miraculeuses. Et ce n'est pas rien. Quand on songe au nombre déprimant de millions de ces minuscules unités de temps que l'on empile sans plaisir particulier, en vivre une aussi enivrante est une petite bénédiction. C'est celle où, au moment d'une deuxième ou troisième écoute jusque là encore un peu distraite d'un album, soudain l'oreille se tend, l’œil se fige, le poil se dresse.
L'ongle cesse de pousser, le sphincter s'interroge, le colon tressaille. On le sait alors instinctivement, ce que l'on entend va désormais obstinément épouser nos volumes, emplir notre être, caleçonner notre panthéon. Ce qui commence par fugacement nous remuer les tripes finira par nous tordre le ciel.


Au fait, de qui s'agit-il cette fois ?
D'une brochette de bretteurs brittons, énième représentants de la british invasion qui déferla sur l'Amérique au début des années 60, libérés comme pétillantes bulles sous la pression relâchée par les décapsuleurs en forme de scarabées John et Paul.
Chad et Jeremy n'ont rien pour eux.
Une carrière météorique qui défiera le néant, qui le leur rendra bien.
Les deux rombiers ont des gueules de premier de la classe alors que, cruelle ironie, ce ne sont pas les derniers à en avoir.


Sous prétexte que l'un des deux sort d'une grande école, les agents de promotion de leur maison de disque, qui ne tardera à se faire la belle, ne trouvent rien de mieux que de balancer leurs sons dans les boites que fréquente la haute.
Fatale erreur, la seule hauteur laquelle était destinée le duo était la fidélité.
Notion réservée aux masses laborieuses.


A l'origine de l'aventure, il faut bien manger, et pour ça, Chad Stuart et Jeremy Clyde se font les dents.
Après quelques tubes digestifs, libérés entre 64 et 66, qui séduisent ces gloutons d'américains prêts à avaler n'importe quels rosbifs, le couple délaissent les charts en chenilles et papillonnent vers les studios, cocons d'albums qui chrysalident les critiques en ce milieu des sixties.
L'effort est cosmique. Un tragique et anonyme big-bang de la fin d'un univers jette dans la nuit deux soleils incapables de s'attirer en orbite la planète pop, Of Cabbages & Kings, en 1967, et l'irradiant The Ark (1968), qui nous intéresse aujourd'hui.


Le disque entier est une source inépuisable de plaisir à côté duquel il serait criminellement idiot de passer. Vous connaissant, pas plus délinquants que déliquescents, je vous fais donc confiance pour ne pas tarder, si ce n'est déjà fait, à jeter plusieurs oreilles avides, en bons aventuriers, sur cette arche perdue, et porter à ce disque toute l'attention qui lui manqua l'année de ma naissance. Vous ne manquerez pas, alors, de croiser le sublime pipe dream, à l'origine du terrassant émoi mentionné un peu plus haut.
Pied-de-nez habituel aux compulsifs qui aiment attribuer des notes à la moitié d'une première écoute, cette chanson se comporte comme tous ses grandes ainées: le troisième passage électrise, la cinquième tétanise, la dixième extatise.
Et cela ne cesse de grandir par la suite.


La musique est affaire de mesures, et c'est pourtant sans elles, et sans non plus de retenues, que vous aimerez ce nouvel et inespéré outil à augmenter votre morne quotidien. Cela sera d'autant plus vrai si vous êtes amateurs de ces trésors pop cachés des années 67-73, rejoignant votre étagère chérie entre toutes, ou s'empilent déjà les Left Banke, Guess Who, Batteaux, Zombies ou autres The Move.
De quoi se faire des compiles prodigieuses, les amis.

guyness
9
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le 13 nov. 2016

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guyness

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