Si cette réédition d’un live d’excellente qualité sonore de la tournée The Dark Side of The Moon du Pink Floyd est évidemment un événement incontournable pour tout amateur de Rock, elle l’est sans doute encore plus pour moi : cette tournée me donna l’occasion, à l’époque, d’assister à mon premier concert, alors que j’étais encore adolescent… le premier de nombreuses centaines au cours des décennies qui suivirent. Un moment symbolique que cette découverte des « grandes messes » typiques des concerts des années 70, où, en dépit de conditions en général assez déplorables – son incertain, organisation pas très professionnelle, service d’ordre prompt à avoir recours à la violence pour obliger les hordes de chevelus à demi camés que nous étions à l’époque à respecter une certaine discipline – régnait une magie qui s’est peu à peu dissipée au fur et à mesure que le Rock rentrait dans le rang.
Rentrer dans le rang, c’est indiscutablement un terme qui s’applique au Pink Floyd de The Dark Side of the Moon, qui va passer d’un coup du statut de groupe psychédélique pour babas défoncés (l’image de More, bien entendu, mais qui restait encore pertinente pour le chef d’œuvre Echoes sur la seconde face de Meddle, et même sur la BOF de la Vallée), ou encore expérimental (une partie de Atom Heart Mother, et bien sûr le second disque de Ummaguma) à celui d’immense groupe populaire… et futur dinosaure que le mouvement punk prétendra ringardiser. Pire encore, ce fameux The Dark Side of the Moon deviendra, quelques années avant que les douteux Dire Straits ne lui volent la place, le « disque servant à tester la qualité des chaînes stéréo » !
Mais en novembre 1974, à Wembley, où sont enregistrés les morceaux composant ce live (le Floyd y avait joué 4 soirs de suite, du 14 au 17), nous n’en sommes heureusement pas encore là : si le groupe a clairement dit adieu à sa première (celle de Syd Barrett) et à sa seconde époque (celle des albums audacieux), il n’est pas encore totalement entré dans l’ère « watersienne » de la démesure – qui se profile quand même avec une mise en scène lumineuse et visuelle ambitieuse. Mais puisque nous n’avons droit avec ce The Dark Side of The Moon Live 1974 qu’à la version sonore, il nous est facile d’écouter cette musique en fermant les yeux… ce qui était au milieu des années 70 la pratique courante, les images étant encore sensées se former dans notre tête et non nous être imposées par des vidéos… Ecouter cette musique pour, éventuellement, revoir notre jugement sur l’album studio. Mais surtout pouvoir bénéficier enfin d’un remastering correctement fait de ce qui est considéré outre-Manche comme l’un des sets les plus impressionnants jamais donnés par le groupe.
Et impressionnant, ce live l’est, en particulier dans ses moments les plus classiquement Rock (Time, et surtout Money bien sûr) où même les vocaux toujours perfectibles de Gilmour – à la voix particulièrement rock, pardon rauque – passent comme une lettre à la poste : l’énergie qui se dégage des titres surpasse la virtuosité et la précision bien connue des musiciens, et la musique devient littéralement énorme. Bien sûr, les solos de Gilmour, porté par l’enthousiasme du public, et logiquement magnifiquement étirés, sont littéralement phénoménaux. Ne serait-ce que pour ces deux titres, les plus évidents, il est impossible de refuser au Floyd sa place au sommet.
Bien sûr, on aura certainement plus de mal à vibrer sur les quelques passages abstraits, comme l’initial Speak To Me, qui est néanmoins une indispensable introduction à la beauté de Breathe, ou On the Run, vaguement ennuyeux et qui reste l’un des seuls moments faibles de The Dark Side of the Moon.
A l’inverse, la magnifique performance vocale des chanteuses soul/gospel Carlena Williams et Venetta Fields, ainsi que les nombreuses parties saxo de Dick Parry élèvent encore des titres comme The Great Gig In the Sky et Us and Them vers des sommets de beauté et d’intensité qu’ils n’atteignaient pas sur la version studio. Et si la conclusion de Brain Damage / Eclipse reste un peu anecdotique par rapport à la majorité de ce qui a précédé, nous avons encore ici le bonheur d’entendre une interprétation magistrale de Any Coulour You Like, long instrumental où Wright et Gilmour semblent revenir au travail magique qu’ils effectuaient sur les albums précédents. Il y a fort à parier que ces 8 minutes fabuleuses deviendront le passage favori des vrais fans du groupe…
… Mais ces vrais fans – et spécialistes du groupe – déploreront avec raison que nous n’ayons droit ici qu’aux dix titres de l’album studio, alors que l’interprétation intégrale de The Dark Side of the Moon était précédée par des versions « primitives » de Shine On You Crazy Diamond (qui apparaitra sur Wish You Were Here), Sheep et Dogs (qui figureront sur Animals), mais surtout suivie par une inoubliable version de Echoes… Mais admettons que ce n’était pas sujet ici…
Précisons pour finir que la nouvelle pochette, construite à partir les maquettes de l’iconique pochette de l’album, est très belle, et que le livret intérieur offre quelques précieuses photos d’une époque où nous n’avions pas accès à autant de photos de concerts qu’aujourd’hui.
Bref, un album live indispensable à quiconque aime le Rock (et pas seulement Pink Floyd), qui peut prétendre à la pole position parmi tous les enregistrements live du groupe.
[Critique écrite en 2023]
https://www.benzinemag.net/2023/04/22/pink-floyd-the-dark-side-of-the-moon-live-at-wembley-1974-historique-mais-surtout-immense/