Il y a trois ans, j'écrivais ceci au sujet de The Post, la précédente collaboration entre John Williams et Steven Spielberg :
Ça fait drôle de se dire que cette partition marquera sans doute la dernière collaboration de John Williams et Steven Spielberg pour le cinéma. Non qu'elle soit mauvaise, loin de là. Mais si le compositeur (âgé de 88 ans tout de même) confirme sa retraite annoncée après avoir écrit la bande originale de Star Wars 9, cela signifie que The Post place un point final à une association artistique hors du commun, longue d'une quarantaine d'années et riche de moments mémorables, entrés à jamais dans l'histoire du Septième Art.
Raté, donc, puisque les deux hommes nous auront finalement réservé ce qui devrait être pour de bon leur ultime collaboration, John Williams ayant clairement annoncé, à 90 ans, poser sa baguette de compositeur de musiques de films après The Fabelmans et le cinquième opus des aventures d'Indiana Jones.
Que The Fabelmans constitue la conclusion de l'amitié professionnelle de Williams et Spielberg fait beaucoup plus sens, au moins d'un point de vue symbolique, dans la mesure où le cinéaste y replonge dans ses années d'enfance et d'adolescence pour raconter la naissance et les origines intimes de sa vocation de cinéaste. En guise de baisser de rideau, on ne pourrait rêver fin plus belle, plus émouvante et plus significative - une fin éminemment spielbergienne, en somme.
Sur le plan musical, la partition concoctée par John Williams n'est pas forcément appelée à demeurer parmi les incontournables de son travail pour le Kid de Cincinnati. En dépit de ses deux heures trente, le long métrage réserve en effet peu d'espace à la musique originale du compositeur, préférant puiser dans un réservoir de sons d'époque, chansons et musiques de films accompagnant les premières œuvres du jeune garçon. De plus, la bande originale, telle qu'elle est présentée au public sur disque, comporte trois extraits de morceaux classiques, dont deux, intradiégétiques, sont joués par la mère de Sammy dans le film. Leur présence sur la galette fait donc sens, mais restreint d'autant l'espace accordé au travail de Williams.
Bien que discrète et beaucoup moins développée qu'à l'accoutumée, la partition du compositeur vaut tout de même l'écoute pour le seul thème principal du film, présenté dans le morceau-titre qui ouvre le disque, puis repris et décliné de différentes manières par la suite. Une fois de plus (mais est-ce encore une surprise ?), John Williams prouve sa capacité à écrire une mélodie marquante, en parfaite adéquation avec le ton et le sujet du film qu'elle illustre. Interprété au piano seul, ce morceau est une une merveille de délicatesse et de pureté, d'élégance et de profondeur, qui dit tout du film en l'espace de deux minutes.
Moins frappantes de prime abord, dénuées de spectaculaire, les autres pièces composées par Williams font preuve d'une justesse absolue, que ce soit "New House" - avec cette séquence bouleversante et tragique où Paul Dano porte Michelle Williams comme une jeune mariée dans la maison qu'ils viennent d'acquérir en Californie, le visage rayonnant du père en complet décalage avec le sourire faux et l'expression profondément mélancolique qui saisit celui de la mère - ou "Mitzi's Dance", déclaration d'amour à la mère, sa folie enfantine, sa grâce et son mal-être capturés tout ensemble dans une scène sublime.
S'il n'est pas aussi bouleversant qu'on aurait pu le rêver, The Fabelmans est un très joli film, pudique et tout en retenue, et sa bande originale est à son image. Une superbe déclaration d'amour au cinéma, et d'amitié entre deux hommes dont la collaboration, d'une longueur et d'une richesse uniques, marquera le cinéma à tout jamais. Une conclusion de rêve pour une double carrière idyllique.