Lâcheté et mensonges
Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...
Par
le 29 nov. 2019
205 j'aime
152
Depuis le temps qu’on l’attendait, ce premier album des fabuleux Hollandais violents de Tramhaus, on n’osait presque plus y croire. Bon, il y avait déjà eu cet excellent EP, Rotterdam, en 2022, mais on avait vu Tramhaus évoluer de manière tellement spectaculaire sur scène que cela ne nous suffisait plus, clairement. Leur passage dévastateur au Festival de Binic, cet été, où leur musique semblait poussée vers l’hystérie par la guitare abrasive de Nadya van Osnabrugge avait confirmé que le groupe avait durci le ton… Mais surtout, que peu de gens en ce moment déployaient un tel niveau d’intensité sur scène. The First Exit est enfin là, et, rassurez-vous si vous appréciez votre rock’n’roll tendu et agressif, c’est la tuerie attendue.
Initialement catalogués comme « post-punks », ce qui est devenu l’étiquette la plus ridicule, et donc dévalorisante à porter, nos cinq Rotterdamois avaient très vite assuré leur singularité via une approche plutôt fun, dansante même, de leur musique, qui les distinguait des cohortes de nouveaux musiciens accablés et austères, souvent vêtus de noir, émergeant de Grande-Bretagne principalement… Et via des apparitions scéniques enthousiasmantes, avec leur impressionnant frontman, Lukas Jansen, en M. Loyal presque « jaggerien » dans son énergie et sa gestuelle théâtrale.
Mais là où perçait une jolie exubérance, il semble bien désormais que le groupe a resserré les rangs autour d’un indie rock violent, dur, certes mélodique, mais qui louche clairement dans la direction de gens aussi respectables que les Pixies. C’est un peu moins original qu’avant, mais c’est indéniablement efficace dans cette alternance rituelle de montées en puissance et de déflations narquoises : ce qui n’échappe pas toujours à la prévisibilité inhérente à un genre aussi bien établi, mais a le mérite d’une redoutable efficacité.
The First Exit nous offre donc neuf morceaux littéralement féroces, dont nous avons pour nombre d’entre eux la primeur sur scène, comme le remarquable single sorti fin août, Ffeur Hari, et ses cris de "Waste, distraction, violence, drugs, sedated, silence, love"… sans que l’hystérie que l’on a vécue en live soit totalement retranscrite ici. On lui préférera le méchant uppercut qu’est l’ouverture de l’album, The Cause, l’accélération démente de Once Again, et l’exigeant Beech, qui, avec ses ruptures de rythme répétées, provoquera sans aucun doute de beaux moments de fureur dans les moshpits. Ou encore, dans un registre différent, le plus lourd, plus sombre, et quasiment mélancolique Worthwhile.
Il faut pointer que la singularité de Tramhaus passe aussi par les textes des chansons, souvent extrêmement personnels et émotionnellement chargés, construisant au fil de l’album une sorte de chronique par Lukas de sa sexualité. Le contraste entre l’honnêteté de la démarche intime du chanteur et la radicalité sauvage de sa mise en musique, en respectant les codes du punk, rend Tramhaus plus intéressant que la moyenne dans le genre : lorsque Lukas se met à hurler – et il le fait souvent -, le groupe échappe aux poncifs de la « révolte punk » pour déverser sur nous une émotion crue.
Il faut prendre le titre – et la pochette – de ce The First Exit au sérieux : après une longue période d’échauffement, il est la première « sortie du placard » d’un groupe qui assumera certainement le leadership d’une nouvelle scène néerlandaise qui se révèle aussi créative, aussi active que celle de Belgique. La première et certainement pas la dernière.
[Critique écrite en 2024]
https://www.benzinemag.net/2024/09/26/tramhaus-the-first-exit-machine-de-guerre-et-damour/
Créée
le 28 sept. 2024
Critique lue 68 fois
6 j'aime
2 commentaires
Du même critique
Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...
Par
le 29 nov. 2019
205 j'aime
152
Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...
Par
le 15 janv. 2020
191 j'aime
115
Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...
Par
le 15 sept. 2020
190 j'aime
25