Décidément il ne fait pas bon tomber amoureux dans les chansons de Cave.

A peine un an après la sortie du premier opus des Bad Seeds, le groupe revient plus détonnant que jamais dans les oreilles du monde. De mon écoute du premier album “From Her to Eternity”, je garde le souvenir d’une atmosphère anxiogène, comme si j’étais enfermée dans la cale d’un navire à la dérive, en compagnie de marins infortunés. Il semblerait qu’avec ce nouvel album le navire ait enfin accosté et pas n’importe où : sur les rives du Mississippi. On passera le côté improbable de mon concept, c’est pour l'image.


Le groupe revient donc avec sept morceaux plus riches et d’une autre trempe : celle du “post blues” à la sauce Berlinoise, comme il était courant d’en produire à l’époque (coucou Bowie). Pour vulgariser le concept, on crée une musique qui ressemble énormément à du blues en utilisant ses codes et ses instruments (harmonica, guitare, orgue, etc.) mais en abordant des thèmes que l' on ne traite pas traditionnellement dans la musique blues. Si je vous parle de Gospel ; de Mississippi, de guitare endiablée sur laquelle on se surprendrait à twister… Ça ne vous rappelle pas un certain Monsieur Presley ?


La preuve : la première chanson s’intitule “Tupelo” et c’est précisément le nom de la ville de naissance du King. Je vous la fait courte : à l’époque Nick Cave fait une fixette sur Elvis, mais une vraie fixette, du style à connaître une épiphanie en voyant des concerts retransmis à la télévision. Le morceau s’ouvre sur une ambiance orageuse qui lui donne un ton morbide mais rythmé, la basse d’Adamson est comme possédée, elle s’emballe. Cette chanson suivra longtemps le groupe sur scène, adoré et réclamé par le public pendant les rappels. Cave conte l’histoire d’une ville inondée par des trombes d’eau mortelles, il s’excite, imite la voix d’Elvis et on finit par y croire. Pour Cave, Elvis est le Christ marchant sur l’eau, annonciateur de la fin du monde.


Le deuxième morceau, ”Say goodbye to the little girl tree”, dans la veine des classiques américains, nous parle du suicide d’un gars qui aurait grandi trop vite et qui aurait un peu trop d’attirance pour les petites filles. “Train long suffering” aborde un thème cher au groupe, celui de la passion amoureuse qui mène à la folie et au troisième titre, on lâche la goupille. Voilà qu’on s’excite : Cave crie encore et les autres membres du groupe s’y mettent aussi, on sent une véritable cohésion dans la musique et me confirme que l’album est bien plus riche en écriture.


Le cinquième titre, “Black Crow King”, c’est tout simplement du gospel à la mode Bad Seeds : la basse roule, on entend la Louisiane racontée par un australien gigantesque un poil énervé. Le surnom de « black crow king » restera collé un moment aux basques de Cave et sera même le titre d’un LP live sorti en 1987, enregistré en loucedé à Munich. “Knickin’ n Joe” est quant à lui bien plus mélodieux avec lequel nous avons un aperçu des Bad Seeds que l’on connaît aujourd’hui. C’est un morceau de blues mélancolique qui nous raconte l’histoire d’un condamné à la chaise électrique pour avoir tué “par amour”. Décidément il ne fait pas bon tomber amoureux dans les chansons de Cave. Avec “Wanted Man” on découvre enfin Blixa en choriste avec sa voix un peu creepy qui ne changera jamais, même 30 ans plus tard, même dans un autre groupe. Alors que Nick Cave scande qu’il est recherché dans à peu près toutes les villes des Etats-Unis par des tas de gens, l’album s’achève avec “Blind Lemon Jefferson”, un chanteur de blues qui a connu un succès éclair dans les années 20, encore un bon morceau des familles, lent et torturé : bienvenue dans les années 80 berlinoises.


P.S : Nick Cave dans ses fameux “The Red Hand Files” nous explique un peu sa passion pour Elvis :

« En 1981, à Londres, j’ai vu le film « This is Elvis ». J’ai toujours été un fan d’Elvis, avec un amour particulier pour ses chansons des années 70 (Suspicious Minds, In the Ghetto, Kentucky Rain, Always on My Mind) – et je développais une certaine obsession pour l’album gospel « How Great Thou Art » enregistré au début des années 60. Les dix dernières minutes de « This is Elvis » ont à tout jamais changé ma vision de la performance scénique. Durant les dernières minutes du film, on voit Elvis sur scène à Las Vegas, chantant son fameux « Are you lonesome tonight ». La caméra le filme longuement en zoomant lentement sur son visage. Elvis est défoncé et obèse, et lorsqu’il énonce son désastreux monologue au milieu du titre, on peut clairement voir son agonie sur scène, ses yeux drogués et mortifiés, la terrible solitude du moment présent – son âme toute entière crucifiée sur la croix de son propre corps alors qu’il trébuche sur les mots. Il s’agit là de la pire tragédie que je n’aie jamais vu sur scène. […] Alors que je rentrais du cinéma, j’étais hanté par ces trois images – Elvis mortifié, le visage barré de larmes, sa tête hochant d’une triste acceptation et ses bras triomphants levés au ciel. Ce sont les trois étapes par lesquelles le Christ est passé : la croix, l’agonie et la résurrection ».


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le 24 juil. 2024

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