Je n’aurais pas aimé me retrouver à la place des gens traumatisés par la sortie de The Downward Spiral en 1994.
5 ans d’attente pour succéder à un des grands disques des années 1990 a de quoi décourager tout le monde. Surtout si c’est pour se retrouver devant un double album si différent. Donnant l’image d’un Trent Reznor toujours aussi tourmenté, mais également plus introspectif et subtil.
The Fragile portait bien son nom à première vue. Celle d’une œuvre composée par un homme fracassé qui n’en avait pas fini avec "sa spirale descendante".
Pourtant, malgré ses instrumentaux doux et post-apocalyptiques, Reznor pouvait encore envoyer du bois (la mémorable ouverture « Somewhat Damaged », « Where Is Everybody? », « No, You Don't »…) et même écrire des tubes (« We're in This Together », « Starfuckers, Inc. » ou le funky « Into the Void »). Ce qui fait de ce double un disque bien plus accessible que laisse présager sa réputation.
Sa variété, la qualité du songwriting (car Trent est un grand faiseur de chansons durant cette période, pas seulement un producteur pointu) et bien sûr du chant (rageur, sensuel ou intimiste) ayant tout pour confirmer une chose : même si The Fragile n’est pas aussi bon que les précédentes œuvres de NIN, cela ne l’empêche pas d’être grand.
Puisqu’en dépit du fait qu’il souffre un peu du syndrome du double disque (les instrumentaux les moins bons sont sympathiques, mais restent superflue en comparaison des sommets de l’album), on lui pardonne tellement ce projet était déjà très risqué sur le papier et réussit tout de même à tenir très bien la route.
Car derrière ce travail titanesque et ces arrangements d’une incroyable richesse (je ne vous raconte pas le monde qui a été mobilisé pour arriver à ce résultat), Trent Reznor n’oublie pas deux choses essentielles : écrire de bonnes compositions et y injecter ses tourments pour rendre son œuvre intemporelle.
Parce que derrière son calme apparent et ses saillies bruitistes travaillés au scalpel, cet album regorge de vie et d’émotion (le morceau titre est une de ses pièces les plus poignantes).
Après tout ça, Trent ira en cure de désintoxication et se retrouvera incapable de pondre une musique d’une telle envergure par la suite.
Oui, cette sortie portait bien son nom. Le génie est fragile et peut disparaitre d’un claquement de doigt au moindre petit changement.
Cette œuvre saisit cet instant où le génie se retrouve au sommet, juste avant la chute.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.