La force de l'attente ? Comment un album parvient à construire un univers compréhensible et cohérent


On dit merci la pandémie !



Je n'attendais rien de cet album. Honnêtement, il y avait quelque chose dehors qui m'empêchait d'attendre cet album, et, le fait qu'il ait été repoussé n'a rien arrangé. En plus, j'aurais dû aller voir cet album en avant-première dans la série de 6 concerts prévus partout dans le monde, et j'aurais aimé y aller vierge, laissant le plaisir de la découverte. Un report et une pandémie plus tard, cette dernière n'étant toujours pas terminée, c'est pas demain la veille que l'on ira écouter ce bon Steven Wilson. Alors j'ai craqué, j'ai acheté l'album le jour de sa sortie. Sortie que j'avais oublié en plus, donc c'est dire s'il m'était passé à côté, et pourtant dieu sait que j'aime Steven Wilson, et surtout ces albums vraiment très prog style 70/80.



Une transition logique



Les 3 albums avant celui là montrait une très grande évolution chez Wilson : The Raven that refused to Sing offrait un hommage à peine caché aux compositions de Rock Progressif des années fin 60 début 70 (King Crimson et Yes en tête, avec un peu de Jehtro Tull et de Pink Floyd). Le deuxième, Hand.Cannot.Erase proposant une approche beaucoup plus 80, on avait un certains mélange entre du Marillion, un peu de métal (A la Porcupine Tree), et d'autres influences commençant à poindre le bout de leur nez, comme Peter Gabriel, Genesis (les deux sont à distinguer), et Kate Bush. Puis vint le troisième, To The Bone, qui là, pour le coup, partait un peu dans tout les sens : Du rock, de l'Electro, de la Pop. Wilson à décidé de lâcher les hommages et de faire son mélange comme il le voulait.


To The Bone était un album de transition, là où the Future Bites est l'album d'un aboutissement vers la musique plus électronique. Certains déploreront l'absence des riffs géniaux de Wilson, je maintiens que la guitare n'est excellente que lorsqu'elle est pertinente, utile, qu'elle à sa place et qu'elle ne doit pas être raccordée de quelque manière que ce soit, et ça, Wilson le fait avec brio.



Le pouvoir d'un compositeur



Parce que c'est ce que Wilson fondamentalement, un compositeur. Le style, les instruments auront beau changer, nous sommes toujours en face de composition à la Steven Wilson : complexes, même si bien moins technique en terme de rythmique (évolution, encore une fois, logique, y'a qu'a voir To The Bone et The Raven). Je concède aussi que les morceaux sont plus courts, plus simples, plus... Pop ? Oh, le mot tabou, ce qu'il ne faut pas dire! Wilson qui fait de la Pop, AHHH, quelle horreur ! Rendez moi mon Mellotron et mes guitares 12 cordes, je ne veux pas de cette Pop, oh, ce que ce mot est dégoutant !


Oui, mais non. Non, parce que c'est encore et toujours Wilson à la barre. Ce n'est pas que de la Pop, c'est la pop de Wilson, nuance, de la pop travaillée, recherché, qui fait appel aux sentiments plus qu'aux déhanchés et autres gallochades intempestives. C'est de la pop à la Damon Albarn en fait, où on se fait plaisir tout en restant un minimum sérieux, parce qu'on peut faire de l'accessible en ne faisant pas du con (je vous renvoie à la très bonne réflexion d'Alexandre Astier sur le débat Simple et Simpliste, accessible et simple, etc), on peut faire quelque chose que tout le monde peut écouter sans pour autant considérer le public comme des vaches à lait. On est en face de compositions de Steven Wilson, et elles sont vraiment, vraiment bonnes, bien agencées, belles avec des refrains qui peuvent rester dans la tête pendant longtemps, en reprenant des codes qui, semblant vieillots (les chœurs, enfin quelqu'un qui sait que faire un chœur ce n'est pas dupliquer sa voix, c'est faire appel à des chanteurs spécialisés dans les chœurs), mais qui sont remis au gout du jour. Il ne faut pas avoir peur du changement, c'est quelque chose de bien parfois...



Le pouvoir du concept



Wilson est un gars à concept, ces meilleurs albums sont ceux qui fonctionnent dans un état d'esprit. C'est pour ça que j'ai du mal avec To The Bone, maintenant que j'ai écouté le reste de sa discographie, parce qu'il n'a pas vraiment de cohérence, pas de messages, à part : regardez, le monde c'est la merde... DISCO ! (Je caricature, mais bon...). Et là, The Future Bites en possède un : le désespoir du monde capitaliste, du pouvoir de l'argent, de la stupidité face à la consommation, enfin bref, des thématiques joyeuses que l'on attendait de Steven Wilson, ça fait du bien !


Et quand le concept rejoint la musique, et bien ça touche quelque chose, y'a un déclique: c'est sans doute, étrangement, l'album le plus positif de Wilson, mais aussi le plus intimiste au delà de sa froideur apparente. Prenons King Ghost, le morceau semble froid dans son introduction mais qui, en fin de compte, révèle une certaine forme de sensibilité, une peur certaine qui ne demande qu'à être rassurée, le retour d'une âme perdue, l'envie de récupérer une certaine forme d'humanité. Le texte premier semble être le capitalisme, le texte de fond est en vérité l'envie d'un retour à la sensibilité, à l'humanité, une démonstration de la sensibilité humaine en quelque sorte.


La proposition de Wilson est intéressante: il se met dans la peau d'un "méchant?", manipulateur et avide, mais qui souhaite récupérer son humanité, dévorée par l'appât du gain. Le soi-même ne peut qu'aimer le soi-même, que tout le monde prie l'amour et que l'amour soit l'enfer, les bases sont posées, l'égocentrisme et la recherche, le retour d'une humanité perdue sera l'épicentre de l'album.


Ce qui est déroutant, c'est que malgré l'apanage très pop de l'album, il ne peut pas passer en radio, définitivement pas. Trop froid, trop sombre, c'est un album pop pour les aficionados du genre dans l'idée exprimée avant. C'est l'album le plus accessibles de Wilson, sortant définitivement du carcan de la niche du rock progressif pour une pop plus accessible, avec la pochette la plus froide de Wilson à ce jour : Du gris, du rouge, du noir, un minimalisme froid, antithèse de l'album, jouant sur deux apparences distinctes : le froid du personnage et la chaleur qu'il souhaite retrouver, le froid de la pochette et la chaleur de la musique.



Le déroulement



Pari tenu. La musique à fonctionnée sur moi. Les morceaux, presque tous, ont ce petit quelque chose de Wilsonnien que j'aime tant, cette idée très incarnée de la musique, on sait que c'est lui qui est aux manettes, et pas un autre. Accessible est le mot d'ordre, mais est-ce un défaut ? Non. L'album, après une courte introduction très bien écrite (les paroles sont toutes vraiment bien écrites et je le pense vraiment font partie des textes les mieux écrits de Wilson dans un registre POP, parce qu'au niveau de toute sa carrière, c'est passable, bien même, mais pas les meilleurs qu'il ai pu pondre, et bien loin derrière les textes de the Raven où même de certains de Porcupine Tree), nous plonge dans SELF, une sorte de Funk electro avec un refrain catchy au possible, un pont jouant avec les panoramiques d'une manière que j'aime particulièrement, on sent qu'il y a un réel plaisir à faire ce morceau, et c'est ce que j'aime.


King Ghost, plus lent, devient plus chaud, plus rond, plus calme, avec un falsetto à tomber. Les émotions dans un apparat déshumanisé, je vous l'avais dit...


Le grand morceau de l'album c'est, évidemment, Personal Shopper, morceau entrainant au possible, pleins de petits effets disséminés, avec une petite apparition de Sir Elton John déblatérant des produits toujours plus ridicules, toujours plus fous, que l'on s'empresse d'acheter. A savoir que ce que dénonce Wilson, ce consumérisme jusqu'à l'absurde, ce dernier le fait aussi, dans la description du Clip par exemple : "The song PERSONAL SHOPPER sits somewhere between being a love-letter to shopping (which I love to do!) and the uneasiness I feel about the more insidious side of modern consumerism" (La chanson, PERSONAL SHOPPER se situe entre une lettre d'amour au shopping (que j'adore !) et le sentiment complexe que je ressens vis-à-vis de ce dernier et de la facette insidieuse du consumérisme moderne) (trad approximative).C'est assez drôle, parce que dans le clip, l'expression "vendre son rein" prend tout son sens.


Certains lui reprochent de faire exactement ce qu'il décrit dans cette chanson, de proposer des éditions deluxes, des editions ultra deluxe limited edition collector unique dans le monde avec une chanson inédit pour la maudite somme de 11k€, vous en avez besoins ! Alors, dans un premier temps, c'est clairement, clairement, du foutage de gueule. C'est la première fois qu'il le fait (enfin je crois), avec le thème de l'album il était nécessaire qu'il fasse quelque chose dans ce genre. Libre à vous après de l'acheter hein, mais bon... Certains y voient une forme de retournement de veste, moi j'y vois une bonne grosse blague, et ceux qui sont dénoncés ici vont tomber dans le panneau.


C'est un très, très bon album, avec un concept clair et facile à comprendre, une musique accessible mais en même temps tinté de divers degrés de lecture, une mutation d'un artiste qui passe de l'Hommage au personnel, jouant un rôle qui lui sied à merveille (franchement, il a la tronche du commercial véreux Wilson).


Vivement le concert, que je puisse voir ce qu'il entend par le fait que l'album est indissociable de la mise en scène. Parce que hein, on va pas se mentir, l'album fait un peu BO d'une comédie musicale sur le terme du consumérisme, mais là, on va dans un autre terrain et j'ai déjà trop écrit.

Zoan
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le 4 févr. 2021

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