Phil marche dans la forêt. Il pleut des cordes, l'air est lourd est le paysage est gris. La couche noire de nuages semble impénétrable. Phil tend ses bras vers le ciel, son visage offert à la myriade de gouttes qui en tombent.


"Je veux que le vent souffle !", hurle-t-il au sombre firmament.


Une brise légère se lève. Les branches de pins entament leur doux balancement, les aiguilles tourbillonnent dans les airs. L'enveloppe nuageuse se perce et la pluie se tarit. Bientôt, le ciel n'est plus qu'une vaste étendue grisâtre. Pas la moindre trace d'azur, pas de soleil doré.
Désemparé, Phil regarde autour de lui. Le vent souffle toujours mais la brise s'est muée en mistral glaçant, les pins semblent contraints à danser sur un air trop violent. Terrassé par le désespoir, Phil se baisse et, les mains tremblantes, saisit la corde qui traîne à ses pieds. Il l'enroule maladroitement autour d'une branche et commence à nouer un nœud coulant. Sur ses joues, les larmes ont remplacé la pluie. Alors que toute couleur semble avoir fui ce monde et que la forêt a perdu toute vie, à cet instant la logique veut que Phil mette un terme à la sienne. Il lâche sa branche et se confronte de plein fouet à la gravité. Ses bras se balancent en tous sens, son visage congestionné vire au rouge et son cœur tonne comme jamais. Les secondes passent comme des heures. Du tréfonds de sa conscience, Phil perçoit un craquement sourd. Le voilà à terre ; le bois s'est brisé sous son poids. Il respire abondamment, les yeux exorbités, les mains crispées autour de son cou meurtri. Son esprit engourdi reprend consistance, ses émotions resurgissent, ses sens reviennent... Soudain, Phil se fige. Une pulsation sourde vient de résonner dans toute la forêt. Phil se relève, empli d'une résolution nouvelle : sans savoir comment, il est persuadé que cette pulsation est la réponse à l'agonie de la forêt. Animé par cette certitude, il se met en route.


Devant lui, une rivière houleuse lui barre la route. Mais Phil n'a pas à hésiter ; il a déjà fait face à la mort, rien ne l'arrêtera dans son périple. Il s'engouffre dans les flots déchaînés. Alors qu'il se laisse brinquebaler au gré du courant, il sent des mains le caresser. Qu'est-ce ? Une sirène ? L'être lui murmure quelque chose à l'oreille, quelque chose qu'il ne peut discerner, noyé sous l'intensité des flots. Quelque chose à propos de la Lune... Phil refait surface, et se hisse sur l'autre berge.
Alors qu'il s'enfonce un peu plus dans la forêt, il fait la rencontre d'un étrange cavalier sans tête. Ce dernier l'accompagne sur un bout de chemin, en lui racontant d'une petite voix semblant sortir directement de sa poitrine le roman de ses déboires amoureux.
Un peu plus loin, Phil croise un couple bien atypique. Au milieu d'une clairière, un petit arbuste pousse dans l'ombre d'un chêne centenaire en lui chantant son amour. "Je suis petit à côté de toi, mais mes racines sont fortes et profondes. Je suis à tes genoux."
Mais quelques instants plus tard, l'atmosphère s'assombrit et Phil est pris de vertiges. Il vient d'avoir d'avoir une vision de ce que pourrait être la forêt s'il échoue. Un lieu désolé, où le temps n'a plus cours. Pas de matin, pas de soir, pas d'arbres mourants et renaissants. Une dimension dont il n'existe nulle sortie...


Phil se fige. Émergeant de ses noires pensées, il croit entendre "Something"... Un bruit, des feuilles mortes qui craquent, des pas lourds, une respiration lente et menaçante. Sans s'attarder, il s'élance plus profondément dans la forêt. La pulsation est de plus en plus nette.
Pris de fatigue, il s'allonge dans un tronc d'arbre creux et s'assoupit. Réveillé en sursaut par des vibrations, il sort de ce qui est devenu un cercueil colérique, qui lui grogne : "Je ne te contiendrai pas." Intrigué, Phil passe son chemin.
Au loin, derrière le barrage des arbres millénaire du cœur de la forêt, on peut désormais percevoir une faible lueur couleur sang. Renforcé dans sa détermination, Phil accélère le pas.
Mais le vent se met alors à souffler, si violemment que les plus larges des arbres sont eux-mêmes secoués. Phil, frêle comme une brindille, est projeté dans les cieux. Atteignant la cime des plus hauts troncs, il est propulsé au dessus de la forêt toute entière. Phil ne peut que s'émerveiller de la beauté de ce paysage, de l'incroyable harmonie qui en émane... Suspendu en l'air comme dans le temps, Phil entend le vent lui souffler une douce mélodie : "Tu es dans les airs."
Mais l'instant est passé, Phil est maintenant en chute libre. Pénétrant de nouveau la couche de feuilles et de branche qui le sépare du sol, il est précipité sur le sol.
Quelque chose de froid et doux amorti sa chute. Hébété, Phil se relève et fixe du regard ses mains, dans lesquelles il peut voir les cristaux glacés fondre. Regardant autour de lui, il voit le sol couvert de neige, tandis que les flocons tombent d'on ne sait trop où en une tempête furieuse. Alarmé par le froid ambiant, Phil se remet à courir vers le rougeoiement lointain et sa pulsation sourde.


Les arbres millénaires qui l'entourent, l'immensité écrasante de ce ciel blanc... Phil se sent de plus en plus ridicule dans sa quête pour sauver la forêt. Minuscule comme il est, a-t-il seulement le pouvoir de changer quoi que ce soit ?
Phil aperçoit une clairière au loin. Son cœur tambourine dans sa poitrine, il sait que l'instant décisif est bientôt arrivé. S'arrêtant de courir, il s'appuie contre un arbre et s'arrête un instant sur le sens de sa quête. C'est alors que l'évidence le frappe. Il se met debout et fait face à l'arbre contre lequel il s'était appuyé. Posant sa main sur l'écorce, il chuchote en souriant : "J'ai cru sentir ta silhouette mais j'avais tout faux..." Ce n'était pas la forêt qui l'avait attiré, c'était l'image qu'elle lui renvoyait de lui-même. Ce chemin, c'est surtout pour lui qu'il le fait, c'est lui-même qu'il va devoir sauver là-bas. Une sérénité nouvelle se répand dans son esprit tandis qu'il repart confronter son destin.
Pénétrant dans la clairière, il est assailli par un terrible hurlement. Face à lui, un immense grizzly noir. Phil doit vaincre cette bête avant d'arriver à son ultime but, il le sait. Il regarde ses mains, dans lesquelles vient d'apparaître un "Sabre de Samouraï". Hurlant à son tour, il s'élance sur le grizzly et ouvre le combat, lame contre griffe et dents contre crocs.
Quelques instants plus tard, ruisselant du sang de la bête, Phil titube vers le centre de la clairière, d'où émane la pulsation.
Au centre, un réceptacle en verre entouré par une myriade de globes lumineux qui tournicotent en l'air en une ronde rougeoyante. Les esprits de la forêt, puisque c'est bien d'eux qu'il s'agit, l'accueillent en sautillant et l'invitent à faire son devoir. Phil se redresse, il sait ce qu'il a à faire. Il plonge la main dans sa poitrine et en ressort son propre cœur, rouge et palpitant. Sans arrière-pensée, sans regrets ni remords, il place l'organe vital dans la cloche en verre.
Dès lors, autour de Phil, tout revit. La neige fond, les arbres reprennent leur couleur, l'air alentour rougeoie, le sol semble gorgé de vie tandis que son sang irrigue l'ensemble de la forêt. Phil s'affaisse sur le sol. Les larmes perlent derrière ses yeux fatigués, mais son sourire ne vacille pas. Désormais, il est la forêt.


Ses yeux se ferment.


Un bâillement ensommeillé retentit dans la chambre. Phil Elvrum se frotte les yeux, repousse sa couverture et s'habille. Quel rêve étrange il a fait cette nuit... De nouvelles mélodies trottent dans sa tête. Comment doit-il s'y prendre pour se souvenir de ses errances nocturnes ? Elvrum a sa petite idée là-dessus. Souriant, il ouvre la porte de sa chambre et part en direction de son studio.


Chronique provenant de XSilence

Créée

le 3 oct. 2013

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T. Wazoo

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