Le grand retour de Polly Jean.
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La plus éclectique des chanteuses et musiciennes britanniques de ces vingt dernières années revient sur le devant de la scène avec un neuvième album solo studio en forme de brûlot documentaire et politique. Un disque ambitieux et raffiné, mais qui montre d’étonnants signes de faiblesse venant de celle qui, par le passé, a pourtant relevé haut la main d’autres paris musicaux risqués.
« The Hope Six Demolition Project » tient son nom d’un projet controversé de réaménagement urbain d’ampleur nationale et de réhabilitation de certains quartiers populaires des grandes villes, en particulier Washington D.C., en ce qui concerne cet album. Comme on peut s’en douter, le point de vue de PJ Harvey sur le sujet n’est pas très favorable, et le disque embrasse un double projet paradoxal et nihiliste de mise en parallèle de ce qu’elle considère comme un échec, voire un danger avec la politique étrangère des États-Unis et ses conséquences dans des pays comme l’Irak, l’Afghanistan ou le Kosovo. L’idée étant qu’après avoir contribué à la destruction d’autres pays sous des prétextes bellicistes ou économiques, les États-Unis détruisent également leur propre pays de l’intérieur, avec des projets tels que le Hope VI. Le parallèle est périlleux et pour le moins difficile à mettre en mots et en musique.
On le sait, cet album a été enregistré dans le cadre de sessions-performances live à la Somerset House de Londres, après un travail de documentation effectué par l’artiste suite à ses voyages en Afghanistan et au Kosovo. Sur le papier donc, « The Hope Six Demolition Project » est un projet massif, polyvalent et s’appuyant sur différentes techniques et supports artistiques. C’est un disque à la fois documentaire par son contenu et sa préparation, poétique par son livret (les chansons sont aussi publiées dans un recueil de poésies conçu et publié en parallèle du disque), politique par ses intentions et, bien entendu, c’est un album musical mêlant une variété pléthorique d’instruments et de genres musicaux. Cependant, si, sur un strict plan musical et artistique, il n’y a pas grand-chose à reprocher au disque, c’est pour une fois le livret et les paroles qui prêtent le plus le flanc à la critique.
En effet, certaines paroles écrites par l’auteure-compositrice-interprète paraissent pour le moins étonnantes, voire faibles. Le single « The Community of Hope », qui ouvre le disque sur un tour de bus dans le quartier Hope VI de Washington, a, par exemple, fait couler beaucoup d’encre en Amérique : PJ Harvey n’y mâche pas ses mots et balance un lapidaire « the schools looks like a shit-hole » qui ne lui ressemble pas vraiment, tandis que la chanson se termine sur une scansion en chœur d’un amer « They’re gonna put a Walmart here ». Des paroles qui laissent mitigé, lorsque l’on connaît la qualité de la plume de la chanteuse. Est-ce que l’amertume et le cynisme de son constat ont pris le pas sur la recherche stylistique ? Ou bien un tel constat et ses implications politiques (parfois maladroites) sont-ils tout bonnement incompatibles avec le format d’une chanson de pop-rock ? Difficile à dire. Plus loin, sur « A Line in The Sand », la narration par étapes en forme de ritournelle ou de comptine d’un portrait de la misère contemporaine en Afghanistan est touchante, mais très naïve ; et on a du mal à savoir où se place la chanteuse par rapport à ce constat lorsqu’elle ânonne plaintivement sur le refrain un « enough is enough » sans vraiment en porter le poids des mots, ou sur l’étrange couplet final en forme de lueur d’espoir maladroite. Plus grave encore, « Medicinals », qui s’apparente encore une fois à une comptine ou à un nursery rhyme et dont le texte maladroit mêle une élégie aux plantes médicinales à une attaque de la société de consommation et de la bétonisation des villes, en se terminant sur une étrange image quelque peu choquante d’une femme handicapée native américaine en Redskins poussant un caddie et sirotant une bouteille d’alcool. On se dit qu’on a connu la chanteuse plus subtile, ou que les sujets plus intimes réussissent mieux à la crudité de son verbe.
Cela étant dit, ce sont des limites qui apparaissent surtout au fil des écoutes, une fois la musique bien intégrée ; et, à moins qu’on ait le livret à portée de main à chaque écoute, on passera probablement outre certaines assertions malheureuses ou maladroites. Il faut surtout ici louer la richesse musicale d’un album où l’entourage habituel de PJ Harvey s’est réuni pour nous livrer un disque proprement unique et inclassable, dans une discographie déjà particulièrement éclectique. John Parish, donc, à la production comme derrière divers instruments (dont du mellotron sur « Near the Memorials to Vietnam and Lincoln » et « Dollar Dollar » !) ainsi qu’aux chœurs, mais aussi Flood ou Mick Harvey qui, fait peu anodin, chantent également sur plusieurs pistes. C’est une des nombreuses singularités de ce disque, qui poursuit esthétiquement ce que l’on pouvait trouver sur son prédécesseur, « Let England Shake ». PJ Harvey y mêle avec un certain bonheur des éléments de musique traditionnelle folk, voire primitive, à un son plus bluesy qu’à l’accoutumée ; d’où les percussions tribales au début de « River Anacostia », le sample de Jerry McCain en ouverture de « The Ministry of Social Affairs », mais aussi les claps de mains qui parsèment le disque, les nombreux murmures, chœurs ou râles et soupirs qui traversent tout l’album et lui donnent à la fois un caractère collectif – cela ne sonne pas toujours comme un album solo – faisant écho aux revendications et à l’indignation de la chanteuse, et une vibe très « roots » qui est particulièrement bienvenue et rend bien avec le sujet de morceaux comme « Chain of Keys », « River Anacostia » et surtout « Dollar Dollar ».
En outre, « The Hope Six Demolition Project », s’il n’est pas le grand disque qu’il aurait pu être, accouche de quelques merveilles où le projet se concrétise enfin, tant d’un point de vue littéraire et politique que musical : il s’agit en particulier des deux ministères qui se font écho sur chaque face du vinyle, « The Ministry of Defence » et « The Ministry of Social Affairs ». Le premier est porté par un riff ravageur de saxophone, instrument star de l’album et premier amour de la musicienne avant sa carrière discographique, et s’appuie sur un texte remarquablement solide mettant en parallèle in absentia l’institution politique américaine et son homologue afghane fantomatique. Le second est une pépite rock fortement marquée par le blues primitif américain qu’elle cite d’ailleurs en exergue du morceau, et incarne parfaitement l’inventivité musicale du disque avec son utilisation métissée d’instruments aussi divers que le saxophone, l’autoharpe ou le mélodica. Sur des pistes moins marquantes, on trouve aussi des idées brillantes qui maintiennent en éveil l’intérêt de l’auditeur et aiguisent son sens de l’écoute ; ainsi des soupirs vaporeux qui ornent la mélodie de « The Orange Monkey », du finish vocal rugueux de « River Anacostia », de la flûte de « Medicinals » ou bien encore de la formidable introduction documentaire en field recording de « Dollar Dollar », magistrale et déprimante piste de clôture. Et puis, bien sûr, il y a le single phare de l’album, « The Wheel », avec son texte désespéré sur le sort des enfants dans les pays en guerre et sa composition tripartite, sans doute la plus solide et la plus mémorable de tout l’album. Cette chanson justifie à elle seule l’écoute d’un disque sur lequel elle survient en fin de parcours, dans un trio de morceaux particulièrement réussis.
« The Hope Six Demolition Project » est, en somme, un album inégal, pas totalement réussi au vu de son ambition pratiquement démesurée, mais qui nous gratifie de moments purement épiques et d’une sophistication instrumentale qui laisse sans voix. De quoi faire oublier les quelques fautes de goût du LP et la faiblesse de certains titres ; un sentiment confirmé à la fin du disque par une série de morceaux qui réalisent enfin ce que ce projet un peu fou avait de potentiel. PJ Harvey nous montre ici, surtout, qu’elle reste une artiste de premier plan, intransigeante et imprévisible. Seul l’avenir nous dira si cet opus est un pétard mouillé ou un futur pilier de sa discographie passionnante ; mais, pour l’instant, il sonne un peu comme un petit frère chétif mais attachant de son prédécesseur, une déclinaison américaine de « Let England Shake », une promesse alléchante mais pas totalement réalisée.
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le 26 avr. 2016
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