Baptisé d’après la grosse bébête faite de bouts d’animaux bien connue des férus de mythologie, Chimaira est un groupe qui ne s’oublie pas, ou en tout cas qui laisse difficilement indifférent. L’album dont il est aujourd’hui question est celui qui a permis aux natifs de Cleveland d’exploser. Bien plus violente que les formations lambda ayant suivi la tendance montante de l’époque (on est en 2003 pour rappel), la Chimère se démarque, depuis ses débuts, par une signature sonore qui persistera dans chacune de ses œuvres, alors même qu’aucune d’entre elles ne se ressemble.

En effet, des 6 efforts studio qu’ils ont publiés à ce jour, aucun ne sonne comme une redite du précédent. Ils avaient laissé les auditeurs de Pass Out Of Existence sur une impression pleine de bonnes idées, mais encore maladroitement agencées : un neo metal slipknotien assez bourrin, beaucoup de hurlements core et surtout de samples. L’album qui nous intéresse maintenant ajoute d’autres armes à l’arsenal déjà bien fourni de la Chimère. Les influences extrêmes, principalement death mélodique et thrash, pointent le bout de leur nez. Ces influences, parlons-en. On sent à partir de ce disque que les Américains ont été nourris au son des grands groupes qui ont fait la gloire du metal dans les années 80-90. En vrac : Sepultura/Slayer pour l’agressivité du propos ; Pantera pour le feeling général des soli de guitare ; Fear Factory pour l’aspect très carré et moderne de l’ensemble, sans oublier les samples qui se fondent désormais parfaitement dans la musique (“Pure Hatred”, “Implements of Destruction”), alors qu’on les distinguait très nettement du reste dans Pass Out Of Existence ; enfin, de manière assez prévisible In Flames et toute la scène melodeath pour la présence accentuée des lead-guitars. N’allez pas croire qu’ils ont pondu une bête mixture des légendes du Metal, mais nul doute que ces groupes (ou au moins quelques-uns d’entre eux) vous viendront à l’esprit pendant l’écoute.

C’est donc avec des leçons bien apprises (notamment sur la route, en tournée avec In Flames et Soilwork entre autres) plus des restes de l’ancienne formule, épurée de ce qui n’est plus trop à sa place, que Chimaira a conçu un des disques majeurs de la scène qu’on appelle aujourd’hui communément « metalcore ». La plus grande partie de cet album semble guidée par une seule ligne directrice : l’efficacité. Hormis le morceau gigantesque qui clôt le disque (nous en reparlerons un peu plus loin), tous les titres sont assez directs. Même les plus lents dépassent rarement les 4:30. Ainsi sont construits les hymnes Live que sont devenus “Pure Hatred” (refrain clichesque mais diablement entraînant : « I hate everyone ») et “Power Trip” dont le break écrasant à la double pédale pousse à headbanger comme un dément. Les hurlements virulents de Mark Hunter font un effet « pan dans ta gueule » comme peu d’autres savent le produire. Une espèce d'explosion permanente (comme l’intéressé le scande lui-même au début de “The Dehumanizing Process”). À ce propos, bien qu’il varie peu son phrasé, il ne fait aucun doute que sa voix est un des atouts ayant forgé l’identité du combo américain. Le plus souvent aigu, sans aller jusqu’au black metal, descendant quelques rares fois dans les graves, parfois chuchotant (à la manière d’un Chino Moreno) et encore plus rarement, en pure voix claire. Je vois d’ici venir les inquiétudes quant à l’apparition de chant pop sur les refrains.

Mais ce ne sera jamais le cas (bon ok, une seule fois sur “Down Again”). Les interventions mélodiques ne virent jamais à l’archétype de l’adolescent pleurnichard. Au contraire, en parfait accord avec l’ambiance générale de leur musique, le chant est soit sombre soit déshumanisé à la Burton C. Bell (“Stigmurder” ou encore “Pictures in the Gold Room”). Pour ce qui est de la production, fruit des travaux de Ben Schigel, c’est un rendu suffocant, renforcé par les samples (effet voulu par le groupe lui-même) qui vous attend. L’efficacité des titres n’est pas la seule œuvre du chanteur, puisque les riffs de Matt DeVries dessinent un cadre bien vicelard pour déclamer toute sa haine de ce monde cruel (bon en vrai personne n’en sait rien, mais aussi haineux que Mark Hunter, on en a rarement entendu). Son compère Rob Arnold propose moult interventions groovy (“The Impossibility of Reason” qui n’est pas sans rappeler la décélération finale d’un “The Great Southern Trendkill”). Tout n’est pas parfait car le syndrome du remplissage a infecté la galette (défaut rectifié sur l’album suivant, mais c’est une autre histoire). On se serait bien passé du lourdingue “Crawl”, vraiment pénible à l’écoute et qui semble interminable alors qu’il dépasse à peine les 3 minutes 30. Autre exemple peu reluisant : “Eyes of a Criminal” casse le rythme, mais il se rattrape dans ses 3 dernières minutes grâce à son ambiance bien glauque. The Impossibility Of Reason se conclut heureusement sur un long instrumental mêlant toutes les bonnes idées développées jusque là.

Pour son deuxième véritable album, le monstre mythologique frappe très fort et marque au fer rouge la personnalité d’un groupe à suivre … en tout cas c’est ce que beaucoup se sont dit à l’époque et ils auront eu raison. Chimaira est de la race des formations qui durent, mais surtout qui savent surprendre, ce que bien d’autres dans leur genre ont été incapables de faire. Peut-être le metalcore aurait-il vécu plus longtemps si plus de combos avaient eu leur ambition et leur savoir faire.
JoroAndrianasol
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le 18 févr. 2013

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