« Je tuerais la pianiste,
Afin que l'on sache,
Que quelque chose existe »
(Alain Bashung)
Dans les notes de pochette du disque (une captation live au festival de jazz de Newport rappelons le), David Wein, producteur du festival rappelait brièvement le contexte particulier de cet enregistrement. Dans la nuit du 3 juillet 1972, Dave Brubeck et son quartet (Gerry Mulligan en invité spécial d'ailleurs ...pour remplacer Paul Desmond parti vers d'autres cieux depuis 67 ?) passaient juste après le groupe jazz-rock de Bill Chase (qui s'en souvient de ce dernier ?).
Constatant visiblement la furie électrique déployée, Brubeck s'inquiète que son petit quartet ne soit visiblement pas à la hauteur. Il se tourne alors vers David Wein et lui demande par précaution de pousser le volume sonore aussi fort que possible (« as loud as possible ») afin que leur petite troupe ne soit pas trop affectée par le contraste. Wein lui dit d'oublier et de passer outre, qu'il va y arriver.
Et donc ils y arrivèrent.
Probablement trop surexcités pour se lamenter, voilà donc Dave Brubeck (piano), Gerry Mulligan (Sax baritone), Alan Dawson (batterie) et Jack Six (contrebasse) qui se lancent à corps perdu dans le concert. Et si Mulligan est à nouveau impeccable et que le batteur n'est décidément pas un manche, c'est Brubeck qui impressionne.
Comme si il devait taper chaque touche du piano en y mettant tout son corps ou littéralement avec la même force qu'on mettrait dans un puissant coup de marteau.
Plus le concert avance plus l'impression que Brubeck joue sa vie apparaît.
Il lui faut tuer le piano.
C'est l'instrument ou lui à ce stade.
Plus de recul.
Si le long et passionnant Blues for Newport (écrit spécialement à l'occasion ?) nous mettait la puce à l'oreille, ça transparaît direct sur le mythique Take Five : https://www.youtube.com/watch?v=G3vFzPzjA3E
Sur les 5 minutes originelles de cet élégant morceau, le live étire à 9mn30 la composition.
La transforme.
La culbute méchamment par derrière.
Dave est déchaîné.
On ne l'avait jamais trop vu comme ça. Que se passe t-il ? Rappelons pour les plus curieux que les premières recherches qui vont mener à la création du viagra n'apparaissent que vers 1979.
A 2mn45, le bon Dave improvise autour de la structure. Avec son flair infaillible il tourne autour du pot, il cherche. Il va trouver. Modal à donf. Mais il faut contrôler l'animal, il commence à ruer. Sale bête. Touches noires et blanches. A fond. Tape ! Tape ! Qu'elle crève la bête ! Fais péter le bois !
Après de dernières bourrades, à 6mn40, le pianiste choisit de revenir à l'essence du morceau. Mais personne n'est dupe. Le bois est dur. Les doigts du pianiste, tendus. L'érection d'une bonne partie du public aussi probablement. A 8mn on le sent près à repartir le Brubeck. Mais bon on va pas jouer le morceau une heure non plus (bien qu'on pourrait). On termine tranquillement avec les 10 dernières secondes apaisées. On va pouvoir ranger le piano à son écurie. Patron, vous me ramenez une autre bête, j'ai bien peur d'avoir achevé celle-là. Il reste toutefois une troisième et dernière piste, d'une durée presque équivalente à Take Five. Après Take Five, elle semble presque « normale » cette « Open the gate ». J'ai dit « presque ». Parce que c'est encore un truc à se remuer des mains, des pieds et du popotin ce truc là. Diabolique. Démentiel.
Ces mecs là ont la musique dans la peau, le jazz dans le sang. C'est une évidence mais là on a l'enregistrement audio sinon on y croirait pas.
Diable d'homme.
Diable de musiciens.
Diable de musique.
Et que ce disque est honteusement court au final bon sang.
Allez je me le réécoute.