La création est un processus complexe. Ajoutez un élément à un artefact préexistant et l’ensemble est modifié. Parfois, une erreur peut constituer une innovation et relever rétrospectivement du génie. Mais il est aussi possible de créer par mélange : comme Joël Robuchon, un poulet Tandori, mi cuit, mimolette, sauce au whey, laqué dans du miel japonais. Les Punch Brothers ne connaissent peut-être pas le chef étoilé français mais appliquent sa recette avec brio. Propulsés sur le devant de la scène grâce à leur contribution musicale dans la saga The Hunger Games, les 5 new-yorkais ont dévoilé leur nouvelle mouture fin janvier 2015 : The Phosphorecent Blues, un album qui brille par son mélange des genres, sa technicité, sa personnalité mais également signé par le label Nonesuch, bien connu des Gipsy King, des Black Keys mais aussi de Björk.

Avec un visuel de pochette surréaliste signé par feu René Magritte, une atmosphère onirique et torturée s’instaure. Toutefois, elle est rapidement désamorcée par les premières notes de « Familiarity ». D’aucuns accuseront sans doute l’absence de cohérence entre l’univers visuel et musical du groupe mais ce serait oublier à quel point le quintette s’efforce d’insuffler l’érudition dans les 11 morceaux qui composent l’album. Tous excèdent les 3 minutes 30. Certains renferment plusieurs volets aux rythmiques et sonorités changeantes (« Familiarity », « Julep ») mais conservent néanmoins leur cohérence. Les apprécier consiste à faire preuve de patience afin de mieux s’abandonner au sublime des passages radieux et solaires (« Julep », 2:40). Les émotions affluent sans même l’aide d’une rythmique notable.
En effet, composé majoritairement d’instruments à cordes (guitare acoustique, banjo, mandoline, contrebasse, violon folklorique) Punch Brothers n’a de percussions que le grattement étouffé de ses cordes qui alternent avec des phases d’arpèges virtuoses déconcertantes.
C’est là dire la technicité exacerbé du groupe. En dépit d’une formation blue grass de musique américaine sudiste, les Punch Brothers, décomplexés, s’autorisent deux interludes classiques et mettent à l’honneur Debussy et Scriabin dans « Passepied » et « Prélude ». Malgré tout, le substrat culturel redneck reprend ses droits dans « Boll Weevil » et nous emmène sur les des chemins cahoteux du Kentucky, comme une bande original d’un film des frères Coen. Aussi, c’est dans trop de surprise que le groupe convoque la religion et ses codes vocaux à travers des harmonies de cantiques et quelques « Amen » subtilement travaillés par la voix suave et aérienne de Chris Thile. La magnificence des morceaux réside en la beauté des chœurs, tantôt façon Beach Boys dans « My Oh My », tantôt monacaux dans « Familiarity ».
L’Amérique est résolument mise à l’honneur dans Phosphorescent Blues. La voix se fait très « jazz » dans « Between 1st and A » lors même que « Magnet » nous rappelle le popissime « Toxic » de Britney Spears.

C’est là toute la splendeur de la création virtuose par un groupe qui twiste habilement ses influences. Phosphorescent Blues est un album érudit, un canevas de genres éclos outre-Atlantique avec un œil tourné vers le classique européen, un patchwork stylistique sublime et progessif, une démonstration de classe.
Jules_Pedrau
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le 22 févr. 2015

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