Voici sûrement l'oeuvre la plus proche de celle de John Williams et ses magistrales bandes originales, avec parfois des motifs si similaires que cela en devient troublant et avec cette même toile de fond : l'espace. A croire que Holst a copié Williams. Ou l'inverse puisque Holst a composé cette oeuvre bien avant. Mais en réalité il ne s'agit pas de copie, mais d'un extraordinaire prolongement. Holst a posé les bases du space opéra - et d'une partie de la musiques de film - en 1914. Williams les sublimera en 1977. Retour sur cette épopée musicale qui nous entraine dans une véritable odyssée symphonique, parfois avant-gardiste.


Nous sommes donc en 1914 quand Gustav Holst, compositeur britannique, écrit cette extraordinaire oeuvre musicale, soit plus de 60 ans avant Star Wars dans une époque très innovante avec Debussy et Ravel par exemple ou encore le majestueux Malher qui vient de mourir. Mais cela n'enlève rien à la modernité de Holst. La Guerre des étoiles plane rétrospectivement sur l'oeuvre : le premier morceau, décrivant Mars, a tout de Star Wars : marche militaire, cuivres brillants et belliqueux, rythme effrené, avec des variations, des modulations, des dissonances, un usage étendu de l'orchestre ; du Williams avant l'heure.


Mais sans Holst, pas de John Williams, et pas non plus d'autres très célèbres compositeurs de films. C'est à lui, entre autres, probablement avec Malher, et avant eux Wagner que l'on doit tout de la musique hollywoodienne des années 70 à 2000.


7 longs morceaux pour 7 planètes, traitées comme des personnages : Mars, guerrier, Vénus, l'incarnation de la beauté, Jupiter, royal, Saturne, vieillard, Uranus, sorcier, Neptune, illusionniste. L'ensemble dégage un sentiment d'étrangeté éthérée : les motifs flottent, se répondent, s'évaporent, la lumière et la nuit se succèdent et dessinent le décor du système solaire qu'on s'imagine volontiers avec cette étrangeté des confins de l'espace, avec ses dangers et des beautés fulgurantes aussi. L'oeuvre paraît de fait, assez peu terrestre et plutôt métaphysique puisque relatant des histoires de dieux antiques. La Terre, d'ailleurs, est la planète absente de cette oeuvre (avec Pluton, qui n'est plus officiellement une planète et qui fut découverte en 1930).


A l'image de l'époque, cette musique est à la fois l'héritière du classicisme et du romantisme, avec une amplitude orchestrale à son paroxysme - Wagner est passé par là - et à la pointe de l'expérimentation, le tout dans le cadre de la musique dite "savante", à savoir symphonique. Il faut voir ce travail comme celui de Picasso, au fond, qui commence à la même époque à évoluer. Partant d'une maitrise formelle parfaite, il va vers l'abstraction par le cubisme. Il déconstruit l'objet de ses toiles. Ici, il en est de même musicalement. On garde le cadre de la musique savante, complexité mélodique, symphonique, technique mais on expérimente, s'orientant vers de nouvelles idées musicales : des dissonances, des utilisations orchestrales pour signifier l'espace, le temps, l'étrangeté, voire le vide. Le parfait exemple de ce type de transition musicale c'est le formidable travail du compositeur New-Yorkais, Charles Ives, qui en 1908 composait The Unanswered Question : une oeuvre alliant mélodie élégante, noble, classique, avec dissonances sonores aux cuivres, une musique très souvent utilisée dans les films d'ailleurs pour son aspect crépusculaire et éthérée, genre cauchemar doucereux et mièvre.


Et il en est de même pour Holst, qui est parfois utilisé en tant que tel dans les films mais qui a surtout été mille fois copié tant son oeuvre sied parfaitement au cinéma. Certains thèmes sont si forts, comme les notes presque impériales de Mars (écoutez la fin de ce morceau, on croirait que Darth Vader arrive), qu'on jurerait les voir extraits des bandes originales de Star Wars, alors que c'est Star Wars qui les a extraits de Holst. On pourrait aussi retrouver ce genre de thèmes chez James Horner, Hans Zimmer (début de Gladiator très très proche de ce morceau) et d'autres compositeurs de renoms.


Jupiter, le morceau le plus connu de cette symphonie, est également marqué par sa noblesse presque épique. On voit ici le portrait altier de la plus majestueuse des planètes.


Ce qui fait également ce son très Star Wars c'est par exemple l'entrée pétaradante de Uranus aux cuivres, même si le morceau ressemble aussi à L'apprenti sorcier de Paul Dukas (composé à la même époque).


Ce qui fait aussi très Star Wars c'est l'utilisation de lignes musicales rythmées en toile de fond, avec par-dessus des motifs souvent abstraits. Ces lignes sont parfois effectuées par des harpes, flutes et célesta, des instruments qu'on retrouve chez Williams mais plus généralement dans la musique de films fantastiques ou spatiaux. On notera aussi dans le morceau Mercure, un scherzo très enlevé et dynamique, dansant, comme on peut le retrouver lors des batailles spatiales de la saga.


Dans Neptune, on a le sentiment d'entendre un morceau de La Revanche des Sith ou parfois de A.I, Intelligence Artificielle, musiques de John Williams, avec en prime l'utilisation d'un choeur de femmes totalement aérien et mystique. On aurait tort pourtant de croire que Williams copie Holst. Sa musique reprend ce style, l'enrichie, l'amplifie et y ajoute avec brio sa patte, sans oublier des thèmes mémorables.


Deux mouvements de cette symphonie spatiale sortent du lot : Venus, aussi beau, doux qu'inquiétant par instant, sorte de valse hypnotique et Saturne, dont le final, lent, solennel - une merveille qui mérite à elle seule l'écoute de cette oeuvre - décrit l'acceptation sereine de la mort, rien de moins, avec une contrebasse et un orgue d'outre tombe et des violons et bois aux accords aériens et mystérieux. Car bien entendu lorsqu'on parle de l'espace, on parle en quelques sortes de nous et lorsqu'on parle des divinités antiques, on parle également de l'homme. Malgré cette abstraction, cette étrangeté, il y a une beauté, une certaine noblesse dans cette musique. On s'imagine volontiers voguant quelque part parmi les étoiles, dans des horizons inconnus et pourtant familiers.


Mais là où Williams est essentiellement figuratif dans Star Wars - même s'il l'est moins ces dernières années -, Holst est abstrait. Il ne décrit pas un empire dans Mars, mais le sentiment belliqueux, la guerre, en tant qu'idée. Il en est de même pour Neptune, où le morceau se termine par une fin suspendue, infinie, le choeur de femmes semble se perdre dans le vide, décliner doucement, disparaitre à jamais, comme dans le vide infini de l'espace.


On ne peut que saluer l'immense talent de John Williams d'avoir vulgarisé, rendu populaire le style d'un compositeur comme Holst, trop méconnu, et qui a retrouvé du succès avec Williams qui l'a remis au goût du jour et dans l'air du temps. Connaitre ce compositeur c'est un peu pénétrer le secret des grands composteurs actuels, connaitre leur propres inspirations, le secret des dieux, le délit d'initiés. Holst c'est un compositeur méconnu et encore trop réservé à une élite formée dans les plus prestigieux conservatoires. Holst a grandi dans l'ombre de la musique de Williams alors que pourtant c'est Williams qui a grandi dans l'ombre de la musique de Holst. Sans Holst, pas de Williams. Sans Williams pas de Guerre des Étoiles. Et donc sans Holst, pas de Guerre des Étoiles. Il s'agit ici de lui rendre un peu justice.

Tom_Ab
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le 1 févr. 2020

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