“Mangez des pommes”, conseillait le Président de la République française Jacques Chirac en 1995, année de son élection. Les relations franco-américaines sont compliquées, faites de fraternité et de jalousies. Ces deux puissances ne sont jamais entrées en guerre, mais parfois, une certaine animosité se manifeste dans les discours. En témoigne la réponse des Présidents des Etats-Unis d’Amérique à la propagande chiraquienne : « Movin' to the country, Gonna eat a lot of peaches ». Pas de doute : les so-called PUSA se livrent ici à l’apologie de la pêche, narguant le courant de la pomme incarné par Chirac. « Peaches » est un petit chef d’œuvre de poésie naïve et de mélodie agréablement caressante.


Ces nouveaux Présidents n’ont pas l’esprit pionnier d’un George Washington ou l’intelligence fondatrice d’un Franklin D. Roosevelt. Ils prennent les choses par-ci par-là, au gré des influences accumulées jusqu’à ce milieu des années 1990. Classés en « rock alternatif » à défaut de catégorie plus précise, ils naviguent sur des eaux dormantes. Le mariage entre puissance des instruments et innocence de la voix aiguë produit le même effet qu’un bon vieux Led Zeppelin, mais Led Zeppelin n'est plus. Les lignes de guitares de « Dune Buggy » et de « Candy » renvoient à l’insaisissable complexité sentimentale du grunge, mais le post-grunge n’a point d’avenir radieux.


Ils n’ont pas la fureur isolationniste d’un James Monroe ou le pragmatisme paranoïaque d’un Richard Nixon. Les Présidents donnent l’impression d’assumer leur rôle à grande échelle, et d'exercer leurs fonctions de manière personnelle sans se soucier du qu’en-dira-t-on. Leur musique apparaît de toute façon inattaquable et inimitable, car elle est elle-même une œuvre du second degré. « We Are Not Going to Make It » incarne le punk rock dans tout ce qu’il a de plus insupportable : enregistrement brouillon illustré par un simulacre de dialogue de studio, chant entêtant à la Sum 41, prévisibilité. Le côté parodique justifie-t-il d’infliger cela à l’auditeur ?


Ils n’ont pas la hauteur de vue d’un Abraham Lincoln ou l’ambition démesurée d’un J.F. Kennedy. Leurs speechs sont percutants sans être renversants philosophiquement. Le guitariste Chris Ballew se contente de trois cordes, et le bassiste Dave Dederer se satisfait de deux. On appelle cela respectivement guitbass et basitar, et ce traficotage est censé fournir un son plus profond. Toujours est-il qu’il suffit d’y ajouter les cymbales et tambours du batteur Jason Finn pour constituer un groupe de rock capable de produire une œuvre cohérente et intéressante. Minimalisme veut dire ici qu’on fait le mieux possible avec le moins de matériel possible – chapeau les artistes.


Ils n’ont pas l’inaptitude scandaleuse d’un Warren G. Harding ou la stupidité dangereuse d’un George W. Bush. Les Présidents se sentent bien à leur place et leurs réalisations sont conséquentes. Refusant de se caler confortablement dans des schémas préétablis, ils accomplissent leur désir de façon raisonnable et calculée. Les discours entremêlés de « Back Porch » rappellent le réalisme un peu foufou de Frank Zappa, et ce genre d’escapade s’insère parfaitement dans l’ensemble. L’emploi du temps est très chargé à la Maison Blanche, donc il faut être rapide : des chansons courtes aux transitions fines et aux variations nombreuses, voilà la solution.


Ils n’ont pas l’idéalisme pacifique d’un Thomas Woodrow Wilson ou l’intransigeance radicale d’un Ronald Reagan. La musique des Présidents est aussi ouverte que changeante. La batterie de « Lump » se contente de frapper là où il faut pour accompagner des paroles facilement assimilables tandis que la guitare électrique se charge de donner de la profondeur à ce morceau dynamique. Albert Einstein dirait peut-être que ce genre de musique s’adresse davantage au cervelet qu’au cerveau. Mais heureusement, les PUSA ont des pouvoirs étendus et ils savent aussi se montrer brillants avec les mélodies tout au long d’un morceau, comme le montre aussitôt la ballade « Stranger ».


Ils ont le courage salvateur d’un Harry S. Truman et le panache séducteur d’un Barack Obama. Sans être vraiment belle, la musique des Présidents est très sexy. Sans être expérimentale, elle est plutôt osée. Afin de s’assurer une adhésion initiale dont la réminiscence pourra être décisive dans les moments moins stimulants, ils gardent le meilleur pour le début. « Kitty » est ainsi une véritable réussite artistique, c’est la chanson de l’album. Prenez une phrase aussi simple que « Kitty on my foot and I wanna touch it » et des miaulements insolants, et vous n’avez plus qu’à trouver une structure originale et le son adéquat pour imiter les PUSA – pas si simple.


Soutiens réguliers des candidats démocrates aux élections présidentielles américaines, ceux qui se sont donnés le nom pompeux de Presidents of the United States of America ne sont pas eux-mêmes Présidents des Etats-Unis d’Amérique. Poursuivons le raisonnement. Ils débutent à une époque charnière, alors que Kurt Cobain est mort et que Thom Yorke n’a pas encore montré l’étendue de son talent. Pop, punk, alternatif, grunge : quel sera le courant mainstream d’un rock aux contours indéfinis (si tant est qu'il y en ait un) ? Le groupe originaire de Seattle décide alors de se faire passer pour des représentants du rock mainstream. Ce n’est qu’une usurpation grotesque, car le rock qu’ils jouent n’est en rien un modèle. Cette entreprise de transfiguration inauthentique d’anciennetés à partir d’un élan sans visée fait des Présidents des Etats-Unis, tout au plus, de talentueux secrétaires d’Etat.

Kantien_Mackenzie
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le 11 mai 2014

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