The Seer
7.8
The Seer

Album de Swans (2012)

"C'est comme si tu martelais quelque chose, et que la manière dont cela saigne te guidait vers une nouvelle direction."

C'est ce que répond Michael Gira, cœur - battant et fumant - des Swans, en parlant des prestations live de son groupe, rejetant le terme d'improvisation. Et on est tenté de le croire... Même sans avoir jamais assisté à un concert des Swans, on peut en écoutant leurs albums studios - notamment Soundtrack for the Blind - imaginer ces longues pistes gagner en violence et en intensité, s'étirer à l'infini face à un public trop choqué pour réagir.
Car il faut bien le dire : les Swans, c'est pas joli joli. Depuis le crépuscule des seventies, alors qu'ils dansaient au fond des entrailles du punk agonisant, les Swans n'ont jamais été de joyeux lurons. Et avec l'âge ça ne s'est pas arrangé ; Swans en 2012, c'est comme Aretha Franklin aujourd'hui : c'est (du) LOURD. Gros comme ça. Mais contrairement à la Queen of Soul, les papis post-punk représentent le meilleur de la lourdeur. Celle qui remue les tripes, qui sonne le glas de vos tympans et qui fait chialer les zozos de Metallica.

Ce qu'il propose à cette heure avec The Seer, Michael Gira le décrit humblement comme la meilleure chose qu'il aie jamais produit et l'aboutissement de 30 ans de carrière. Et contrairement au vieux Lou avec sa grosse Lulu de l'année passée, Gira lui n'est pas loin de la vérité. Car sous son chapeau de cow-boy et son visage marqué, le vieux sauvage en a encore sous la caboche et ses esgourdes se portent à merveille (c'est à se demander par quel miracle). Sortant son vieil annuaire de la poussière, Gira a pour l'occasion recontacté ses potes de longue date pour les inviter à participer à ce fameux sommet. 15 invités viennent donc prêter main forte au groupe préexistant de la reformation de 2010. Notons qu'il est parvenu à faire revenir la chanteuse Jarboe pour l'occasion.
Tout est là ; des invités en pagaille pour faire grimper les décibels, des idées plein la tête, la rage au ventre et 30 années de carrière à dépasser. Car au long des 2 heures (ou peu s'en faut) du double album, c'est bien de cela dont il s'agit : regrouper les travaux antécédents du groupe pour les transcender sur un seul recueil de morceaux. On devine Gira capable de recracher une recette qui a fait date depuis plusieurs décennies, on ne doute même pas de son aptitude à proposer un album de qualité. Mais a-t-il su aller au delà d'une simple compilation lardée de guests prestigieux ?

Plutôt oui... La première galette est une entrée en matière velue dans laquelle Gira a rassemblé ses compositions les plus autistes et les plus dénuées de mélodie. Rythmiques jusqu'au bout des ongles, entre duos de batteries, cloches et autres percussions infernales, la première partie de The Seer tient ses promesses en terme de puissance pure. L'incantatoire "Lunacy" ouvre les hostilités, avec les harmonies lugubres de Mimi et Alan (Low) en renfort. "Mother of the World" démontre brillamment que la musique de Swans reste (sur)humaine : le rythme effréné et désarticulé du morceau est exclusivement tenu par les halètements saccadés de Gira pendant plus de 4 minutes sans interruption. Première piste de bravoure, l'éponyme met en scène le chaos tant et si bien que la musique semble parfois sur le point d'exploser. La première partie s'achève en dissonance pure, tentant de nous laisser là, crevés sur le bord du trottoir, alors même que le meilleur est à venir...
Car sur le deuxième CD, la mélodie vient reprendre ses droits. Et de la plus étrange des manières pour commencer ; après nous avoir assailli de bruit avec "93 Ave. B Blues", Gira enfile la casquette du Good Cop et nous laisse respirer avec l'improbable "Song for a Warrior", dans laquelle Karen O vient mêler son chant tranquille à la douceur d'une guitare slide. "Avatar", qui surgit toutes cloches dehors, se hissera sans soucis dans le panthéon des Swans, parvenant à canaliser rythmique puissante et mélodies en "à peine" huit minutes et sans aucun temps mort. "A Piece of the Sky" s'octroie les drones mortifères de Ben Frost, sur lesquelles Jarboe et Gira se tirent le bourre pour 19 minutes qui alternent entre le planant et le saturé... Enfin "The Apostate", qui conclue fièrement l'album (en 23 minutes), voit un chaos organisé se mettre en place, alors que les nuées de guitares apocalyptiques vont et viennent par vagues, charriant le doom le plus absolu, pour finir dans la folie : Michael Gira piaillant dans sa camisole de force, alors que s'abat sur lui l'ultime maelström de batteries, celui qui l'enterrera pour de bon.

Même enseveli on peut entendre Gira ricaner au loin. Sa réunion (ou "reconstruction", comme il préfère la nommer) est un franc succès, et si c'est un chant du cygne il est foutrement jubilatoire. Mais m'est avis qu'on entendra à nouveau parler de Michael Gira, pas sûr qu'il en ai fini avec nous...

SWANS ARE NOT DEAD

Créée

le 3 oct. 2013

Critique lue 847 fois

17 j'aime

T. Wazoo

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