En voilà un qui se sera fait attendre ! King Gizzard par ses productions et publications intenses, ne nous laisse en général peu de temps pour souffler. Mais l'annonce du double album yin/yang était une idée intéressante, d'autant plus qu'elle prônait une certaine attente sur le contenu teasé. En faisant miroir à un PetroDragonic purement metal, ce Silver Cord purement electro allait pousser les limites du groupe encore plus loin. Mais ce n'est pas la chose la plus innovante de cet album. Comme je l'avais dit dans ma critique précédente, le groupe aime jouer avec le format d'album, et ici, le jeu n'a jamais été autant poussé. Puisque ce n'est pas un, mais deux albums auxquels nous avons eu droit. La première, la "version courte", contient les 7 titres ultra condensés, puisqu'aucun ne dépasse les 5 minutes et ne fait au total que 28min, ce qui en fait le 2nd album le plus court. En revanche, la version Extended étalent les 7 mêmes morceaux sur 10min, Theia atteignant même les 20. C'est le yin-yang dans le yin-yang. Mais j’y reviendrai un peu plus tard. Et apparemment, la version courte en vinyle contiendrait trois titres exclusifs. Je vais pas répéter ce que j’ai dit pour les titres exclusifs uniquement en physique dans PetroDragonic, mais j’aime pas ça. En tout cas, je vois que Stu lit pas mes critiques, ça fait pas plaisir >:(
L'album qui divise
La pochette annonçait la couleur. Les 6 membres du groupes coincés entre tout leur matos, dans une image qui semble à première vue un montage de kaléidoscope, comme avec The Piper at the Gates of Dawn. Mais surtout, regardez le matos ! Des milliers de synthés, des batteries synthés, des micros synthés et même des guitares synthés, il y a de quoi rendre jaloux quiconque s'intéresse de près ou de loin à ces merveilles technologiques (par exemple moi).
Et pourtant, le dévoilement du premier single -les trois premières pistes, dont le clip a été tourné sur l’île de Ré- en a fait couler de l’encre, en bien, mais beaucoup en mal. Alors c’est King GIzzard hein, on a l’habitude des changements brusques dans leur discographie, et les nouvelles sorties ne feront jamais l’unanimité au sein de leur fanbase (exemple au hasard, les metalleux quand ils font autre chose que du metal). Mais là, ça en a repoussé plus d’un. Il faut dire que Butterfly3000, déjà à l’époque avait surpris par ce renouveau un peu trop soudain. Mais là, les innovations ont été encore plus poussées par le materiel totalement electro et synthé, qui va jusqu’aux guitares et batteries. Moi-même, je n’accroche toujours pas au morceau-titre où Joey et sa voix au vocoder de bébé alien métamorphosée à l’extrême. Et le seul morceau auquel je n’accroche pas, c’est ce Chang’e un peu trop cucul pour moi. Autant dire que sa sortie était autant attendue que redoutée.
Il est certain que The Silver Cord sera un album qui divisera par son parti pris autant revendiqué.
Les autres albums se relient
Et immédiatement, on veut faire des comparaisons avec PetroDragonic, dont la comparaison de vouloir le comparé aux autres albums du groupe. Petro était assimilable à Infest the Rats' Nest ou le thrash metal simple mais efficace laissait place à du prog metal complexe. Ici, on voudrait comparer l'album à Butterfly3000, le pan synth-pop, où on aurait migré d'un univers guilleret et simplet à quelque chose de plus sombre et profond.
Mais j'ai envie de parler de Made In Timeland. Dans une même idée de jam electro, deux pistes de 15min qui exploraient différents genres, de la house à l'eurodance. Sauf que Made In Timeland, c'était un sacré album de merde (ça va on a le droit de le dire mtn, faut arrêter de faire genre personne ne l'aime). Sauf que Made In Timeland, ça a à peine un an. Passer aussi vite d'un amas de trucs démodé à de véritables pistes qui s'allongent sans s'ennuyer, ça en est presque du miracle. Après, faut pas oublier, c’est King Gizzard, c’est le miracle de s’approprier un genre à chaque album (ou faire semblant de ne pas le connaître). Demain ils nous sortent un album de Noël ou de ska, on fera tous semblant d’être étonnés, et puis on fera comme si ça avait toujours été le cas.
Enfin bon, la comparaison avec PetroDragonic est toujours d’actualité, rassurez-vous. Ce n’est pas un hasard si les deux albums contiennent exactement 7 morceaux. Si vous tendez l’oreille, vous entendrez des thèmes communs. Alors, c’est en général assez discret, et faut se concentrer sur les basses. Ainsi, la basse de Theia, morceau d’ouverture rappelle le riff à la fin de Motor Spirit, qui ouvrait le pan metal. Pareil entre Supercell et The Silver Cord et ainsi de suite. Les thèmes sont relativement subtils, et ça prouve que le groupe ne se repose pas exclusivement sur cette idée qui aurait pu très rapidement devenir lourdingue et fatiguant.
L’album relié
La structure de l’album court est extrêmement intéressante. Il commence pourtant d’une manière assez simple, avec des pistes faussement déconnectés. D’abord Theia qui est le morceau qui se rapproche le plus de Butterfly 3000. Et vient ensuite le morceau-titre, sans doute l’un des trucs les plus bizarres et lunaires que le groupe a pu faire, avant d’enchaîner sur le electro-boogie-groove Set. Bon moi, ce genre de truc j’accroche immédiatement. Arrive alors Chang’e que je trouve comme le morceau le plus faible de la liste. A cause de ces airs un peu niais, qui reprend de manière assez putassière le riff de Witchcraft quand les autres sont mille fois plus subtiles, c’est vraiment ce qui m’embête le plus.
Mais c’est maintenant que ça devient vraiment captivant. En réécoutant l’album, je ne peux m’empêcher de faire un lien avec Tago Mago de Can. Les deux sont construits sur la même sorte d’ambiance. La première partie est une sorte d’explication du concept du genre : electro au sens large pour l’un, krautrock pour l’autre. Et puis brusquement, la seconde partie devient extrêmement plus sombre. Comme une sorte de bad trip, tout devient bien percutant par la destruction progressive des mélodies et l’apparition des harmonies bien moins conventionnelles. Quand Peking O/Aumgn forme un long trip psychédélique et abstrait Gilgamesh/Swan Song est plutôt un mauvais rêve, puis un cauchemar agressif, et il faut l’avouer, parfois noyé dans les effets d’écho. Mais c’est ce qui les rend si percutants.
Et en guise de piste finale, c’est une sortie des enfers pas tout à fait indemne. Comme un Bring Me Coffee or Tea plus calme mais tout autant morbide, Extinction est comme une sorte de douceur, mais de manière relative. Il est vrai qu’il semble plus posé, mais ce n’est que parce qu’on vient de se manger une déferlante de sons de synthés crus à l’extrême, car cette conclusion contient encore ses rythmes vifs et ses accords détunés. Répétitif à outrance sans être ennuyeux pour un sou, il rentre facilement dans la tête, comme pour s’entêter à quitter l’univers fiévreux pour espérer rejoindre un havre de paix inatteignable. Sortir de The Silver Cord nous donne l’impression d’un fever dream (je sais pas comment traduire exactement cette expression). C’est un voyage qui commence de manière un peu trop mignonne pour s’enfoncer vers un côté plus sombre, et plonger dans une folie énervée et d’à la fin tenter de sortir la tête de l’eau, encore un peu immergé dans ce déluge de pluie acide.
J’ai tendance à me plaindre des albums récents chez King Gizzard, et notamment de leur manière à vouloir faire absolument des albums concepts, dans le sens où toutes les chansons sont reliées. Et spoiler : ça marche quasiment jamais, et ça semble tout le temps un peu forcé et artificiel. Mais pour The Silver Cord je sais pas pourquoi ça marche beaucoup trop bien, et ça n’a jamais été aussi efficace que depuis -osons-le- Nonagon Infinity. En fait si je sais pourquoi, mais on verra ça plus tard.
Deux visions
Cette structure qui fonctionne si bien se ressent également dans les textes qui l’entoure. Alors d’habitude, les paroles chez King Gizzard, j’en parle pas trop parce que j’en ai un peu rien à battre. Cet univers tout cheap avec des dieux sorciers lézards ermites mutants de l’espace qui sont tous dans la même histoire, ça me touche pas trop, et parfois c’est fait avec tellement de sérieux que je trouve ça même un peu craignos. Mais ici, c’est quand même assez important. L’album est en effet très inspiré par des divinités mythologiques antiques : Theia déesse grecque de la Terre, Set dieu égyptien de la guerre et du chaos (donc Seth, ce qui n’aurait aucun rapport avec un DJ Set comme je le croyait naïvement, quoique les deux niveaux fonctionnent), Chang’e princesse chinoise qui représenterait le yang, Gilgamesh le héros de Mésopotamie.
PetroDragonic n’est jamais loin, et dans les textes il se reflète également. Motor Spirit parlait de cet « esprit moteur » allusion évidente au pétrole, vénéré par l’humanité. Theia est également une vénération, mais au sujet de la Terre elle-même. Supercell narrait ensuite comment les hommes, par leur utilisation massive de l’esprit moteur, créait des supertornades qui se retournaient contre eux (bon là si voyez pas la métaphore écologique je peux plus rien). The Silver Cord parle donc de ce fameux concept métaphysique qui donne son nom à l’ensemble, qui explique que les vies sont reliées entre elles : l’album sera centré la vie et la mort. Converge racontait la destruction de la Terre vue par des astronautes stupéfaits dans l’ISS. Set fait de même lorsque les dieux égyptiens s’emparent de la vie des humains. Et ça continue. Witchcraft imaginait un groupe de sorcières de Lune de feu autour d’un rituel d’invocation. Chang’e c’est carrément la légende chinoise de la déesse de la Lune, qui en tant que princesse vola la potion d’immortalité de son mari pour s’envoler, en guise de malédiction, sur la Lune. Les sorcières de Witchcraft créent le Gila Monster qui se rebelle contre ses créateurs : c’est Dragon, sous entendant que c’était lui qui était derrière les catastrophes citées plus haut. De son côté, Gilgamesh rêve d’une horde qui ne lui veut que du mal, sans qu’il sache exactement pourquoi. Apparaît alors le chant du cygne (Swan Song c’est bien vous suivez). Quant à Flamethrower et Extinction ça me paraît plus qu’évident : c’est l’anéantissement final de toute sorte de vie, vécues par le désespoir de ceux qui la vivent, ou de ceux qui l’observent. Bref, vous l’aurez sûrement compris entre temps, les deux albums semblent raconter la même histoire, mais de points de vue différents. Si PetroDragonic se place à visions des humains, The Silver Cord se met dans la peau des divinités. Victime ou spectateur du massacre, l’album metal présentait un monde cruel où l’Homme se prend les dégâts qu’il a lui-même causé. L’album electro est bien plus métaphysique, et montre plutôt une punitions des dieux. Ce qui n’est pas non plus sans rappeler la théorie de Gaia (qui a déjà servi à faire un excellent morceau) : cette théorie écologique qui considère la Terre comme un organisme conscient, et qui un jour, à force d’être martyrisée, entrera dans une colère détruisant ceux qui lui faisaient du mal.
L'album divisé
The Silver Cord est définitivement une expérience troublante, une descente aux enfers progressive dans son intensité, où sa sortie ne semble pas sans séquelles. Mais j’ai une minime frustration : l’album est trop court. 28min, c’en est presque ridicule, et je me sens sur ma faim dans ce dégoût qu’il n’y ait plus rien à dire. Mais c’est là que les choses deviennent encore plus intéressantes, avec la publication d’une version longue.
À mon avis, il faut voir les deux versions comme deux albums différents, et non pas comme un double. Déjà, car il me semble que dans les formats physiques, c’est soit l’un soit l’autre (après, rien ne vous empêche de vous procurer les deux si vous êtes millionnaires). A moins que ça ne soit un peu plus complexe. Et si la version courte était un ensemble de teaser pour promouvoir les version extended ? Je vous l’ai déjà dit, le petit album a une excellente continuité. Alors, pourquoi ne pas le voir comme un seul morceau, qui servirait à présenter les concepts de chaque parties, avant de les étaler plus loin ? Peut-être que vous voyez où je veux en venir, parce cette idée, le groupe l’a déjà fait dans Changes sorti il y a exactement un an (coïncidence ???? oui sûrement). Un medley en guise d’ouverture, et les autres pistes qui exploitent leur plein potentiel. Mais quand Changes était un poil lourdingue (toujours pareil, les transitions foireuses gnagnagna…), son successeur fonctionne beaucoup mieux, étant bien plus subtil. Et du coup, plus c’est long, plus c’est bon ?
Ça dépend. La plupart des titres en sortent grandis, sans mauvais jeu de mots. Theia s’étale sur 20 minutes qui en paraissent beaucoup moins, et est définitivement electro-krautrock. Alors que le groupe avait martelé avoir été influencé par Kratfwerk, ça fait du bien de l’entendre enfin. Le morceau est assimiliable aux Autobahn et Radio-Aktivität par son côté un peu planant, sa pseudo-motorik et ses mélodies semblables à des flûtes. Certaines boucles en sont même sauvées par leur répétitivité, on le ressent avec un Extinction enivrant et qui donne encore toujours envie d’être rejoué. D’autres titres révèlent même des vertus insoupçonnées comme The Silver Cord qui malgré la progression de la version courte part ici dans des délires drum n bass presque sans rapport avec l’abrégé (on a le retour de bébé alien Joey qui pour le coup s’incruste plutôt bien). Parfois, on manque l’excellence, quand Swan Song s’attarde trop sur certains aspects et en oublie l’essentiel. J’aimais beaucoup le pont qui était un véritable vent de fraîcheur dans la tempête. Mais là, on se concentre un peu trop à mon goût sur l’acharnement, si bien qu’on en n’aurait presque le mal de mer. Et il faut l’admettre, il y en a qui ne sont pas à la hauteur. Set a beau être l’un de mes morceaux préférés du nouvel album, il est beaucoup trop répétitif pour durer 10 minutes et n’évolue jamais, et a du mal à tenir sur la longueur avant de sombrer dans l’ennui. Mais tous ses titres ont quelque chose en commun : il y a sans doute une part importante d’improvisation. Les longueurs sont généralement rentabilisées, et les différents musiciens s’amusent le temps d’une phrase à s’autociter un autre morceau. Du même album, bien sûr. De PetroDragonic, évidemment. D’un autre album ? On peut entendre par exemple le riff de People-Vultures dans The Silver Cord. En fait, c’est peut-être ce qui se rapprochent le plus des lives légendaires du groupes. C’est une de leur recette classique : prendre un titre et d’au milieu faire un medley d’autres morceau, s’autocitant avant de partir sur autre chose. Ptn maintenant je veux trop qu’ils fassent un DJ set.
The Silver Cord est sans doute leur album le plus ambitieux. D’abord, par le choix des instruments, nouveau pour la plupart des membres. On sent qu'il y a de l'expérimentation dans ces nouveaux joujoux, et parfois qu'ils ne maîtrisent pas tout non plus. Mais il est surtout ambitieux par son format, et son inscription au plein milieu d'une discographie déjà bien dense, et s'y mêlant tout en étant atypique. Ses deux versions qui se complètent sans pour autant fonctionner ensemble. Et l’achèvement d’une double dualité aussi intense construit sur 6 mois nous donne tous envie d’une pause avant la suite. Ça me rappelle l’après 2017 et les 5 albums en un an. On ressentait le besoin de souffler, et c’est ce que le groupe avait fait, avec une année très silencieuse et puis repartir comme si de rien n’était. Sauf que là on va repartir tout de suite, puisque le groupe a déjà indiquer qu’ils allaient enregistrer prochainement un nouvel album, qui devrait donc arriver printemps-été prochain. Alors, c’est enfin l’album de drill ? On sait pas trop, on sait juste pour l’instant que les différents membres joueront des instruments qui n’ont pas l’habitude. C’est un indice très très maigre, moi mtn je veux juste un morceau avec 5 batteries et un zurna. Enfin bon, ça laisse à chacun un peu d’imagination, en attendant la prochaine.