We Will Fall
Les Stooges sont les pères d’un mouvement punk dont ils ne reconnaissent pas les bâtards, parce qu’ils n’en ont rien à foutre. Et cet album éponyme est leur premier coup de semence. Si aujourd’hui...
Par
le 24 nov. 2017
24 j'aime
8
Les Stooges sont les pères d’un mouvement punk dont ils ne reconnaissent pas les bâtards, parce qu’ils n’en ont rien à foutre. Et cet album éponyme est leur premier coup de semence.
Si aujourd’hui des titres comme I wanna be your dog, No fun ou 1969 sont des évidences, des classiques au goût de bile, la reconnaissance des Stooges est celle d’une des plus grandes gueules de bois de l’histoire du rock.
« Les Stooges ont eu ce que j'appellerais le plus long temps d'accoutumance de l'histoire du rock. Il aura fallu au grand public 35 ans pour comprendre ce qui était en train de se passer avec ce groupe. Et là, 35 ans après, le groupe a enfin un public, des gens qui viennent l'écouter… », Josh Homme, leader de Queens of the stone age, dans Total Chaos: Iggy Pop's Story of the Stooges.
La génèse des Stooges est un mélange d’ambition et d’ennui. Le jeune James Newell Osterberg, surnommé plus tard Iggy Pop, tape sur une batterie pour des formations de jazz et garde une idée en tête : « Il faut que je joue dans mon propre groupe ». Les frères Ron (guitare) et Scott Asheton (batterie) trainent leur oisiveté et entraînent avec eux leur pote Dave Alexander (basse). Osterberg troque les baguettes pour le chant. Les « Psychedelic Stooges » peuvent étrenner leur rock énervé à Ann Arbor, dans le Michigan.
« On récupérait des trucs dans l’arrière-cour d’une ferme, on branchait une planche à laver sur un ampli, et on tapait dessus avec des chaussures de golf, ça nous semblait intéressant. On branchait un micro sur une centrifugeuse, on branchait un micro sur un gros entonnoir et ça faisait des feedbacks différents selon qu’on le montait ou le descendait. C’était vraiment drôle. » Ron Asheton (Les Inrocks)
Heureusement pour eux, Kathy, la petite sœur des Asheton, est plus précocement active, sexuellement parlant. Sa fréquentation de Fred « Sonic » Smith, guitariste des MC5, permet aux Stooges de se faufiler dans le sillon du Motor City Five, gagnant au passage le titre de « baby brother band ».
Le style des Stooges n’est pas entièrement nouveau, mais leur radicalisme musical et scénique fait d’eux une bête curieuse et unique.
« There were other subversive, confrontational rock acts before the Stooges-- the cover of the band's eponymous debut even subtly references the Doors' own self-titled album-- but nobody before them had the good sense to take it as far over the top as they did. » Joe Tangari dans Pitchfork.
Par contre, les Stooges n’apprécient guère le radicalisme accru du MC5, qui lui est politique, mais ils prolifèrent dans son ombre. Avec pour apothéose la rencontre avec Danny Fields, émissaire d’Elektra Records, venu rencontrer les MC5. L’homme a du flair et fait signer les deux groupes. La seule chose qu’il n’avait pas prévu, c’est que le groupe n’avait rien de prêt, abandonnant au passage l’expérimentation des instruments bricolés.
« C’est sans doute de ma faute. D’abord, les instruments faits maisons se cassaient l’un après l’autre au cours des concerts. Et puis, je ne sais pas pourquoi, mais dès qu’on a eu un contrat discographique, j’ai dit « oh merde, on ferait mieux d’avoir des putains de chansons ». On s’est mis à composer des chansons parce qu’on avait un contrat. Normalement c’est le contraire. Ron est arrivé avec deux riffs, celui de No Fun en premier je crois, et celui de I wanna be your dog. Ça nous a pris quelques mois pour transformer ces riffs en chansons. On a commencé par les jouer en boucle. […] On avait des thèmes instrumentaux, on improvisait dessus. J’avais des bouts de paroles à partir desquels j’improvisais. Iggy Pop (Inrocks)
Comme le résume assez bien Ron Asheton : « On a été signés sur des jams ». Pour réaliser cet album, Elektra Records décide d’envoyer tout ce petit monde à New-York.
« Every, all, the whole group loved New York. There were things in that environment that didn't really exist for a young person in the Midwest. » Iggy Pop dans le documentaire de Jim Jarmush, Gimme danger.
Pour dompter ces bêtes sauvages lâchés dans la big city, Elektra Records a toutefois une idée de génie : confier la production à John Cale, l'ancien Velvet Underground qui travaille alors pour le label en tant qu'arrangeur et producteur maison.
« So when they suggested John Cale, we thought it was perfect for us. That record wouldn't have felt the same if we hadn't brought it to New York and played it for that person. We preformed for him. » Iggy Pop (Gimme danger)
Mais à New-York, les choses ne se déroulent pas vraiment comme prévu.
« On nous a dit immédiatement, dès qu’on a commencé le premier album, qu’on faisait tout de travers. On nous a expliqué comment faire un vrai disque, et on s’est assis par terre en boudant. » Iggy Pop (Inrocks)
Il faut dire aussi que pour faire jouer les autres membres du groupes, l’Iguane avait sa propre technique.
« When we recorded the record. They couldn't get a decent band track of the band unless I danced. I would stand in the band room with them just with no mic or anything and just dance and jump around and roll around. » Iggy Pop (Gimme danger)
La production prend un tour presque burlesque. Les Stooges jouent fort, très fort. Ils jouet les amplis à fond. Mais ce n’est pas au goût des producteurs, plus expérimentés et agacés par ces amateurs du Midwest. Mais un compromis est trouvé.
« The studio was, was a tiny little room above a peep show on Times Square but it was an R and B studio run by Jerry Ragovoy with tiny little amplifiers. And then we came in with our Marshall stacks and everybody freaked out. The host engineer started saying "But Jerry Ragovoy does it this way." "I don't care about Jerry Ragovoy. You know, you don't understand." Cale finally got us to turn our amps to nine. That was the compromise. » Iggy Pop (Gimme danger)
Pour la technique, la mise en place est laborieuse. Heureusement que le reste est calé… En réalité, pas du tout. Les Stooges ont à peine quatre chansons en stock. Et encore, pas complète. Le mythique Celsea Hotel servira de matrice pour ce premier album.
« Half or more of the songs were written in the Chelsea Hotel. The day before we went into the studio and the song, "Not Right," we had never played. The first time we'd ever played it that was it, that was the take. » Iggy Pop (Gimme danger).
Comble du miracle, ça marche à merveille. Iggy Pop gesticule et miaule ses mauvaises ondes, se permettant parfois de singer Mick Jagger par pure ironie. Ron Asheton balance un tapis d'éclairs wah'wah et de riffs. Comme l’explique Nicolas Ungemuth dans sa biographie d’Iggy Pop « La production de John Cale est tout en paradoxes: sa maturité globale est régulièrement percée par les déluges de saturation d'un Ron Asheton utilisant ses faiblesses avec génie. Incapable de rivaliser avec les guitaristes virtuoses qui pullulent à l'époque - ces Hendrix, Jimmy Page, Jeff Beek, Clapton et consorts -, Asheton fait décoller lentement ses solos dans une grande économie de notes et les emmène vers des sommets de brutalité absolue. » La méthode engendra beaucoup de petits, au-delà des frontières du punk.
I wanna be your dog, No fun ou 1969 explosent aux oreilles d’un auditoire peu habitué à un tel déluge sonore. Et au milieu de cette énergie destroy, une chanson n’a pas l’air d’avoir sa place, We Will Fall, beaucoup plus longue que les autres et bizarrement posée. Une curiosité qui fait la singularité de l’album pour ses créateurs.
« Dave Alexander, he said : « Why don't we do something with an Om chant? » I don't know if it was Ron or me, but one of us melodicized the chant and then made it. It did make a statement that we weren't like the other bands. Dave changed our history. » Iggy Pop (Gimme danger)
Le disque est un diamant brut et un échec commercial. En plein mouvement hippie, la brutalité n’a pas encore sa place. Mais Iggy Pop et ses acolytes se réjouiront a posteriori d’avoir donné les premiers coups de pelle pour enterrer ce mouvement.
Nicolas Ungemuth, dans son livre Iggy Pop, raconte justement la réception de cet album : « Le journal Rolling Stone, véritable bible de la contre-culture et des idées hippies en général, lâche les chiens. Dans ses pages, le verdict de Chris Hodenfield est sans appel: « En 1957, il a été conclu qu'il existe une relation de cause à effet entre le rock'n'roll et la délinquance. Cet album est un nouveau document allant dans le sens de cette thèse. Les Stooges sont une bande de paresseux défoncés pratiquant une musique ennuyeuse et régressive destinée à des gens ennuyeux et régressifs. » […] Heureusement pour Iggy, le journal rock « anti-Rolling Stone» de Detroit soutient l'album avec ferveur: «Les dangereux Psychedelic Stooges parviennent à se mettre au niveau de la frustration obsédée de l'adolescent de sexe masculin. "1969", la meilleure chanson de l'album, est l'expression parfaite de l'éternelle rébellion anarcho-cinglée de la jeunesse ... "Wanna Be Your Dog" évoque les débuts du Velvet Underground, emmenant la musique à des niveaux encore plus bizarres. "No Fun" est une chanson cinglée sur les relations réprimées mec/ fille. "Not Right" est infestée d'abus guitaristiques physiquement appliqués par le guitariste Ron Asheton. Tout au long de l'album, Ron Asheton se montre comme un maitre insane de la puissance des Stooges. C'est sans doute là le style de guitare du futur... »
Ce jugement est prémonitoire. Enfin, en partie. Car, oui, ce style de guitare est effectivement le futur. Par contre, les Stooges n’en feront pas partie. Le groupe se sabordera six ans plus tard.
---- Sources
Rock & Folk spécial Stooges : http://boutique.editions-lariviere.fr/site/anciens-numeros-rock-folk-594-7955-2-7.html
Les Inrock : http://www.lesinrocks.com/2014/03/17/musique/stooges-lultime-interview-11488900/
Film documentaire Gimme danger : https://www.senscritique.com/film/Gimme_Danger/20331602
Livre Iggy Pop de Nicolas Ungemuth : https://www.senscritique.com/livre/Iggy_Pop/12077927
Pitchfork : https://pitchfork.com/reviews/albums/11842-the-stooges-fun-house
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.
Créée
le 24 nov. 2017
Critique lue 2K fois
24 j'aime
8 commentaires
D'autres avis sur The Stooges
Les Stooges sont les pères d’un mouvement punk dont ils ne reconnaissent pas les bâtards, parce qu’ils n’en ont rien à foutre. Et cet album éponyme est leur premier coup de semence. Si aujourd’hui...
Par
le 24 nov. 2017
24 j'aime
8
On connait l'histoire : 1967, Iggy Pop, accompagné des frères Asheton et de Dave Alexander, embauché car il avait une voiture, forment les Stooges. Detroit et ses environs : 1968/69 avec...
Par
le 29 déc. 2019
15 j'aime
6
Il y a deux détails qui m'amusent toujours quand on parle du premier album des Strooges. Le premier est que l'on a le besoin de parler de la fin des sixties. Comme si 1969 avait été une année de...
Par
le 13 oct. 2017
3 j'aime
Du même critique
Je me suis acheté une nouvelle paire de pantoufles . Je prend toujours le même modèle. J'ai découvert la marque gamin, elle était déjà sortie depuis longtemps. Je m'y suis senti bien de suite. Elles...
Par
le 29 déc. 2015
74 j'aime
29
░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░░ ░░░░░░░░░░░░░░░▓████████▓░░░░░░░░░░░░░░░░ ░░░░░░░░░░░░░░▒█████████▓▒░░░░░░░░░░░░░░░ ░░░░░░░░░░░░░░░▓██▓▓▓▓▓▓███░░░░░░░░░░░░░░...
Par
le 10 déc. 2017
64 j'aime
15
_ Papa, est-ce que le père Noël existe vraiment ? _ Je ne sais pas ma puce. Moi, je n’y crois plus vraiment, mais toi, est-ce que tu y crois ? _ … Oui. _ Alors c’est le plus important. _ Super, alors...
Par
le 20 déc. 2019
61 j'aime
32