The Void
7.9
The Void

Album de Beardfish (2012)

On avait laissé Beardfish un peu le cul entre deux chaises avec son dernier album, Mammoth, paru en 2011. A peine un an plus tard, les voilà de retour avec cette fois, une affirmation franche de la nouvelle orientation de leur son. En une formule : les quatre suédois ont décidé de poser le pâté sur la table et d’envoyer du bois sévère.

Une question, néanmoins : vous connaissez la différence entre un bon groupe de prog qui décide de se mettre au hard et un mauvais groupe de prog qui décide de se mettre au hard ? Le bon groupe, règle le son du clavier sur Jon Lord, branche la disto et envoie la sauce. Alors que le mauvais groupe… Ben en fait le mauvais groupe change de batteur, prend un bourrin multivitaminé de power qui joue au clic, et change de guitariste, pour engager un sosie de Malmsteen. Si vous m’avez bien suivi, ce qui est génial c’est que Beardfish s’est mis au metal en gardant ce son et cette façon de jouer bien particulière, et même en gardant des tics de composition et des habitudes de production.

A aucun moment on ne pourrait leur reprocher d’être devenus des clones de Dream Theater ou Arena, ils sont gardé ce côté vintage 70’s, ce sens de l’imperfection sonore assez particulier et très étranger au metal (hormis le true black). Beardfish fait donc du metal en utilisant des méthodes et sons étrangers au metal, et c’est complètement énorme. Concrètement, tout a été durci, alourdi, amplifié, distordu. Mais leur vivacité, la virtuosité de leurs mélodies, la justesse du ton, tout est resté intact. Les morceaux sont de très bonne facture, les mélodies particulièrement jouissives, et la gestion des voix et des chœurs magistrale.

Dans la lignée du magnifique Lamentations, le deuxième album de son projet solo Gungfly, le talentueux Rikard Sjöblom a encore une fois mis les petits plats dans les grands, et cette fois ne commet pas la moindre faute de goût, en termes mélodiques et rythmiques. Il aurait peut-être été préférable que le très bon Note soit mieux situé, il a un peu tendance à casser la rythmique de l’ensemble de l’album, mais ce n’est qu’un moindre mal.

Qu’est-ce qu’il est bon cet album, et qu’est-ce que je l’ai adoré ! J’ai adoré l’intro déjà, et j’ai aussi adoré l’hommage au solo de Joe Morello sur l’éternel Take Five du Dave Brubeck Quartet. Je ne vous dis pas où, à vous de trouver ! Fidèle à sa volonté de durcir le ton, The Void est particulièrement énergique et agressif, sans jamais sombrer dans la violence gratuite, et sans jamais, comme je l’ai déjà évoqué, renier les origines prog-vintage du groupe. Le traditionnel instrumental (Seventeen Again) est l’occasion de souffler un peu. Et même quand les mélodies se font plus pop, comme sur le beau Ludvig & Sverker, la prise de son un peu sale de la guitare de Sjöblom remet les choses en perspective.

Sur Note, morceau le plus typé Beardfish de l’album, le groupe nous fait montre de son talent pour créer une atmosphère chaleureuse sans multiplier les overdubbings, fait rare dans le prog. On pourrait, bien sûr, continuer à jouer au petit jeu des références (c’est vrai que le passage au piano solo de Note évoque beaucoup le Wakeman de South Side Of The Sky), mais je pense qu’après dix ans d’existence, on a compris que les suédois aiment Genesis, Yes, ELP et Pink Floyd, pas besoin d’en rajouter. Bien sûr, c’est toujours amusant de se dire « joli solo à la Gilmour » ou « Emerson aurait pu écrire cette part de Moog », mais à force, je n’en vois guère l’intérêt.

Toutes ces facettes font partie de l’identité musicale de Beardfish, même si celle-ci semble malmenée en apparence par la production qui tâche de The Void. Rassurez-vous, il n’en est rien, si vous avez adoré Destined Solitaire vous aimerez cet album tout autant, du moins c’est mon cas.

Avec The Void, Beardfish frappe fort en cette rentrée prog chargée et quelque peu décevante. L’enchaînement Voluntary Slavery et Turn To Gravel vaut son pesant d’or, et le reste de l’album est à l’avenant. La variété des ambiances et des mélodies le sert franchement, contrairement à d’autres cas, sans trop faire penser à un patchwork, mot que j’ai pu lire ici ou là. Il s’agirait plutôt d’un puzzle, car tout prend sens une fois que l’album est terminé.

Beardfish n’en est pas encore au point de sa carrière où il pourra faire accepter à ses fans une absence d’évolution et nous proposer un Sleeping In Traffic pt. 3. Ce moment viendra, sans doute, il vient toujours, mais profitons pour l’instant d’un groupe au sommet de son art, en pleine possession de ses moyens et surtout doté d’une réjouissante envie de changement et d’évolution au service de sa propre créativité. Car, au-delà du syndrome Steve Harris, il y a aussi le syndrome Radiohead, le reniement, le changement pour le changement, et donc l’affaiblissement d’une fanbase corrélé à la diminution de l’intérêt musical généré par le groupe. Entre ces deux écueils, il y a les plus grands, et à son niveau modeste, car il reste commercialement encore très confidentiel, Beardfish s’est attribué une place de choix.
Silvergm
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le 17 juil. 2014

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