2003-2004. Jeune homme en quête de sensations fortes, je commence à m'intéresser à la face la plus obscure du métal. Corsé, noir, sans sucre. Avide de découverte, je glane des noms à droite à gauche, dont Ulver, et je pars en quête de galettes remplies de noirceur.
Voilà que chez mon disquaire préféré, rayon occase, je tombe sur The Marriage of Heaven and Hell, d'Ulver, double CD que je me presse de ramener chez moi.
Je ne tarde pas à comprendre qu'il y a tromperie sur la marchandise. Au lieu d'un album de black metal, j'ai ramené un OVNI. Long album, reposant sur des plages entièrement électroniques, parfois ambiantes, parfois relevées, on peine même à qualifier cet album de métal. Il y a bien quelques fulgurances abrasives mais les guitares se font rares et discrètes, ne servant qu'à appuyer les voix claires (mais trafiquées) et le long roulement électronique qui sous-tend l'album.
Ce n'est pas un album de dance pour autant : la menace, la noirceur sont bien présentes, mais reléguées en arrière plan. Comme une journée d'été avec de gros nuages noirs qui s'amoncellent au loin. Au dessus de ce grondement, plane une voix qui annone un texte, extraits du poème de William Blake qui donne son titre à l'album.
À l'heure où les groupes norvégiens s'encanaillaient à diluer leur raw black dans d'autres genres, comme un doigt d'honneur à une scène trve black qu'ils ont pourtant contribué à faire émerger, Ulver largue carrément les amarres et estime avoir tout dit dans la scène métal extrême.
Me voilà circonspect, mais étrangement séduit, par un album un peu arty, au carrefour de l'indus, du metal et de l'ambiant, véritable démarrage de la seconde moitié de carrière du groupe Ulver. The Marriage of Heaven and Hell contient en germe la plupart des styles qu'Ulver abordera dans la décennie suivante.
Pas parfait, assez inégal, pas dénué de faute de goût (coucou la plage de blanc de 20 minutes en fin du premier CD), cet album est pourtant une pierre angulaire de mon parcours musical.
À peine était-je tombé dans la version la plus orthodoxe du metal extrême que déjà on m'en montrait les limites et on explosait la barrière des genres à coup de dynamite.
Empreint d'une ambiance claire-obscure, suintant la spiritualité écorchée de William Blake pour peu qu'on prête attention aux paroles, cet album contient des pépites musicales que je chérie d'amour.
Album OVNI dans la discographie d'un groupe lui-même OVNI, The Marriage of Heaven and Hell ne plaît pas à tout le monde mais saura guider l'auditeur attentif dans des paysages auditifs inédits.