Stand! est sorti. C'est un succès.
Les ventes explosent, les critiques sont dithyrambiques et le public se presse pour voir le cirque fou et bariolé de Sly et sa famille complètement Stone.
Le pognon commence à tomber en abondance sur le petit cul rebondi de Tonton Sly et avec celui-ci sa contrepartie inhérente, son ombre maudite: Les emmerdes.
L'oseille comme si il en pleuvait, la gloire soudaine, les gonzesses qui tombent du ciel directement dans ton plumard, le groupe se voit arrivé.
Mais ce n'est pas le bonheur que Sly voit arriver à toute vitesse avec les oripeaux chatoyants du fric et de la célébrité.
Les yeux vitreux, le cerveau embrumé par la came, c'est le danger qui dégouline sous des litres de couleurs psychotropes, c'est l’abîme au fond de cette petite culotte en dentelle de groupie excitée, c'est sur l'écueil hallucinogène d'un océan de gloire que vont venir s'écraser Sly et sa Family.
Sly devient méfiant, dangereusement méfiant.
Il engage ses vieux potes du ghetto, ses fournisseurs officiels et officieux de cocaïne et de psychotropes en tout genres.
Sly devient parano, dangereusement parano.
Il embauche Edward "Eddie Chin" Elliott et J.R. Valtrano, gangsters sans foi, ni loi qui s'occupe de sa sécurité personnelle et ont pour but, entre autres, de surveiller sa petite famille (notamment Larry Graham qu'il accusait de vouloir le faire assassiner) et d'organiser les fêtes les plus barrées de Los Angeles.
Ces orgies démoniaques où Sly et sa troupe plongent tête la première dans des piscines de Champagne et le nez en avant dans les saladiers de Coke, s'oubliant dans les excès et noyant leur talent sous des litres de Dom Pérignon.
Les concerts se font rare, les émissions télé trop imprévisibles et les enregistrements inexistants depuis Stand!.
Sly s'enfonce inexorablement dans la came et la paranoïa.
Il s'écarte du band, de sa famille, passant ses journées à jouer avec ses boites à rythmes (dont il est le premier à se servir lors d'enregistrements) et avec son étui de violon bourré de cocaïne qu'il transporte partout avec lui.(véridique !)
Les producteurs s'inquiètent et ne voyant rien venir, décident de ré-éditer certains titres et de sortir le premier Greatest Hits du groupe.
Mais dans son coin, Sly terré dans son studio et sa paranoïa se remémore le bon vieux temps et pleure comme un môme sa famille perdue.
Ce sera Family Affair premier hit depuis belle lurette de Sly et son groupe et aussitôt numéro un.
Mais quelque chose a changé.
La Funk criarde, solaire de Sly n'est pas au rendez-vous de ce premier single.
Le son se renferme sur lui-même, la basse explosive de Graham se fait lourde, épaisse, ses Slaps plus graves. La boîte à rythme omniprésente enlève la douce chaleur humaine, la propre vie du morceau et rythme sèchement comme l'électrocardiogramme d'un hôpital ce morceau d'une tristesse prégnante.
There's a Riot Goin' On sort à la fin de l'année 1971 et se classe tout en haut des Charts.
L'album est de la même eau que son single. Cette eau sale, boueuse.
Un marécage musical où Sly s'enfonce allègrement, perd pied doucement, seul, tout seul.
Parce que cet album c'est l'album de Sly Stone, Sly sans sa famille. Sly et son ego-trip.
Les expérimentations sont encore nombreuses sur ce disque. Mais là où les overdubbing de Stand! enrichissaient la densité musicale du morceau, les Re-Recordings de There's a Riot... sifflent, crachent, assèchent les morceaux, les vident de leur substance.
Sly pleure, crie, se recroqueville dans son mal-être (Just Like a Baby).
La Funk de Stone semble errer sans but comme un fantôme perdu dans un manoir trop grand. Il semble jammer seul, coincé dans ses peurs, sa paranoïa destructrice, crachant ses angoisses et ses folies dans des Yodels angoissants. (Spaced Cowboy)
Et tandis que (You Caught Me) Smilin' Sly donne l'illusion d'une Funk éclatante renaissante, Africa Talks to You "The Asphalt Jungle" vient tartiner neuf minutes d'une Funk froide comme l'acier.
Une carlingue brisée, un capitaine seul dans la tempête, bravant un océan gigantesque de drogues et de musique.
Sly, les yeux rouges et le cerveau en bouillie, tenant la barre de ce rafiot incontrôlable.
There's a Riot Goin' On est l'album désenchanté d'un homme, d'un peuple, d'une Amérique qui sombre dans cette dépression subite qui éclate après les grands moments de joie.
La face cachée du bonheur.
Stand! et There's a Riot Goin' On sont, à deux ans d'écart, les deux faces d'une même pièce, d'un même homme, d'une même Amérique. Le dyptique musical d'un bouleversement social et mental d'un homme et d'un pays.
La peur comme unique repère, la désillusion comme horizon, une gueule de bois titanesque après la cuite interminable que furent les sixties.
L'Amérique survivra mais ne sera plus jamais la même.
Sly et La funk également.
La première partie