Il y a des disques qu'on attends, et d'autres qui paraissent inattendu. Le disque chroniqué ici fait certainement partie de ces deux catégories à la fois. Me concernant, j'ai "rencontré" Caroline et Michel quand j'avais une quinzaine d'années en écoutant tout ou partie de l'album Two dans la voiture de mon père. Je ne me rendais pas encore compte à quel point ces deux musiciens français allaient compter, autant d'un point de vue personnel, que d'un point de vue plus général.


En effet, Kittin (qui s'est séparée du "Miss" pour appuyer le fait que les femmes sont souvent bien mal considérées dans le milieu des musiques électroniques) et The Hacker font partie des pionniers de l'électro à la française, émergeants tous les deux dans la seconde partie des années 1990 depuis la ville de Grenoble. Peut-être est-ce le cadre montagneux et l'ambiance plutôt industrielle, mais il faut quand même noter que c'est également la ville d'origine de Maurice G.Dantec, plus connu pour ses prises de positions politiques et ses romans subversifs que pour sa carrière musicale, qui en aura influencé plus d'un, y compris Michel "The Hacker" Amato, qui lui rendra hommage avec son dernier LP solo. Ce dernier rencontre Caroline "Kittin" Hervé dans une rave sur les hauteurs de leur ville. Les deux sont aussi déjà DJs. Forcément, le "match" devait se produire. Ainsi naît le duo, ainsi qu'une poignée d'EPs qui seront plus ou moins regroupés dans un célèbre First Album. La célébrité de Kittin et Hacker commence à enfler dés lors, et les deux artistes en profitent pour faire fructifier des carrières solos avant de se retrouver en 2009 avec Two. A cette époque, l'électroclash qui était très à la mode à la toute fin des années 1990 commence à revenir en force, ce qui, naturellement, permet une fois de plus au duo d'être reconnus. Ils accompagnent la sortie du disque par une assez longue tournée "live" (avec synthés, basse, percussions et chants) puis décident de mettre le projet en pause. Les années 2010 ont vu les deux amis collaborer de temps en temps sur différents projets solo. Ce troisième album, en projet depuis un moment, a finalement vu le jour peu avant la crise du covid.


Nommé simplement Third Album, il rentre dans cette logique de nommer les albums par leur numéro de sortie. Le disque, finalement assez court (environ 38 minutes) est composé de huit morceaux. Les deux premiers, "19" (qui n'est pas un cover de Paul Hardcastle comme on aurait pu le croire) et "Ostbahnhof", faisaient partie des deux extraits publiés par Kittin & Hacker en amont de la sortie du disque. Si "19" évoque fortement l'ambiance plus relax et italo de Two, "Ostbahnhof", nommé ainsi en hommage à la gare berlinoise voisine du célèbre Berghain, est finalement un pur retour aux sources de l'électroclash des premiers EPs : séquences synthétiques made in Hacker, voix susurrées dans le franglais tout doux de Kittin.


Les six autres morceaux restent dans la même veine, avec un fort accent sur le minimalisme musical et la répétition, en particulier sur "La Cave" et "Malade", qui pourraient presque évoquer une collaboration de Michel et Caroline avec Crash Course in Science tellement l'instrumentation est proche. Impossible également de ne pas penser à Ruth à l'écoute de "Homme à la Mode", titre mid-tempo tout en séquences brutes de MS-20 dans lequel Kittin imite à la perfection le ton des chanteuses de ces groupes de Jeunes Gens Mödernes. "Purist", le sixième morceau, retrouve cette sensibilité new wave/italo si chère aux deux grenoblois, tandis que "Retrovision" est certainement le meilleur titre du disque. On y retrouve tout ce qui fait le sel de Kittin & The Hacker : rythmique techno, TR808, références musicales à foison, autant dans la production que dans les paroles de Caroline, qui explorent l'âge grandissant du duo et leur amour pour la musique. L'album se termine nerveusement sur "Soyuz", titre certainement le plus électro au sens strict du terme de tout le disque, avec paroles en russe de rigueur.


Kittin & Hacker livrent avec ce Third Album un disque presque "self aware", qui prends bien en compte le passage du temps. Si le duo joue certes un peu la carte de la nostalgie, c'est peut-être aussi parce que leur âge commence à pointer le bout de son nez. Il est vrai qu'en 2022, alors qu'on entends des légendes de la scène comme Laurent Garnier expliquer qu'ils songent déjà à la retraite, ça reste toujours sympathique de voir ces musiciens continuer de sortir des disques pertinents. A ce propos, il faut certainement saluer ce disque livré dans un format relativement court, qui évite l'ennui. On connaît les réserves de The Hacker concernant la pertinence du format LP pour sortir sa propre musique, c'est pourquoi la sortie d'un nouveau disque de ce type est toujours un bel évènement.


A recommander pour les fans les plus assidus du duo et les amateurs de musique électronique.

Blank_Frank
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le 7 mai 2022

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