Lâcheté et mensonges
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le 29 nov. 2019
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Le 10 février dernier, nous étions au Point Ephémère pour assister au triomphe garanti de Sprints, responsables d’un album imparable. Le problème est que nous ressortîmes de la salle pas plus convaincus que ça par Sprints, mais avec en tête le souvenir de English Teacher, jeune groupe de Leeds dont les singles et le premier EP, Polyawkward, avaient mis le feu à la critique britannique (non pas que nous ayons particulièrement confiance en les dires des journalistes d’Outre Manche…). Car, en nous jouant une douzaine de titres, dont on retrouve les plus sensationnels dans leur premier LP (The World’s Biggest Paving Slab, Alnatross, Mastermind Specialism, R&B, Nearly Daffodils, Albert Road…), ils nous avaient peu à peu convaincus de leur importance au sein de la nouvelle scène anglaise (en l’occurrence, pensez en particulier à Black Country, New Road, comme référence).
Comment expliquer la musique de English Teacher à quelqu’un qui ne l’aurait jamais entendue ? Certainement pas en utilisant des références, car dieu merci, à la différence de 80% des nouveaux groupes britanniques, English Teacher ne font pas penser à grand chose de connu ! Pas « post-punk » pour un rond, en dépit d’une basse impressionnante au rôle pivotal (et le tube R&B déploie quand même une urgence vitale !), English Teacher sont plutôt d’obédience « indie pop », avec la guitare qui carillonne fièrement quand il faut (Albatross, The World’s Biggest Paving Slab), mais une indie pop mâtinée de dream pop, attirée çà et là par le jazz, le rock progressif, voire une certaine dose homéopathique de classique. Un mélange improbable, sur lequel Lily Fontaine, très impressionnante petite chanteuse, pose tour à tour un spoken word introspectif et un chant éthéré, pouvant frôler le lyrisme tout en restant de bon goût. Il y a même, et cela pourra en choquer certains d’entre nous, une reconnaissance des formes « pop » commerciales actuelles, avec autotune et emphase à la Lana del Rey (The Best Tears of Your Life, qu’on pourrait détester, mais qui décolle à la verticale dans un final bouleversant).
Armés d’une vocaliste de ce calibre, et maîtrisant leurs instruments avec une virtuosité indéniable, ces jeunes surdoués pourraient probablement s’offrir une belle carrière commerciale, mais, avec l’impudence de leur âge, ils préfèrent noyer tout ces beaux ingrédients dans un grande salade d’idées où il n’est pas toujours facile de se retrouver. Passer ainsi de l’énergie revigorante (Nearly Daffodils) à l’introspection romantique (Sideboob), voire faire coexister dans le même morceau des guitares taquines et des expérimentations ludiques, sans craindre de laisser sur le carreau les tentatives mélodiques, relève d’une audace – d’une fraîcheur, également – qui n’est pas l’apanage de tout le monde.
Thématiquement, English Teacher déploient une ambition peu ordinaire, et n’ont pas peur – chose rare à une époque où être qualifié « d’intellectuel » est devenu une insulte mortelle – d’étaler leurs références culturelles, mais surtout d’en nourrir leurs textes et leur musique afin d’en faire une sorte de « guide » vers la sagesse (justifiant finalement leur nom : après tout, la musique, et surtout la musique Rock, n’est-elle pas un vecteur d’éducation permettant d’ouvrir les esprits ?). Le titre, amusant, de l’album – enfin, pour un groupe basé à Leeds, ville symbolique d’une Angleterre industrielle et prolétaire laminée par les Tories depuis des décennies – fait référence à un moment de joie quand le groupe apprit qu’il allait jouer à Austin, au Festival SXSW, alors même que les températures anormalement élevées évoquaient outre-Manche le climat du Texas. Mais l’expression, au delà du titre de l’une des plus belles chansons du disque, représente aujourd’hui pour Fontaine plus que ça : la matérialisation d’un concept central de l’album, qu’elle qualifie de « desire paths » : avancer vers sa destination sans rester sur le bon chemin », mais s’éloigner des sentiers battus. « Ignore the farmer and his pitchfork / Walk through the heather » (Ignorez le fermier et sa fourche / Traversez la bruyère), chante Fontaine dans This Could Be Texas, en n’oubliant pas pour autant d’envoyer une petite pique aux critiques de Pitchfork !
Ce qui ne veut pas dire qu’English Teacher se tiennent loin de la réalité sociale et politique de la Grande-Bretagne, comme le montre le superbe (piano, saxo…) et très déterminé (intensité de la guitare et du final) Broken Biscuits : « Can a river stop its banks from bursting? Blame the council, not the rain, no preparation for the breakdown » (Une rivière peut-elle empêcher ses rives de déborder ? C’est la faute du conseil municipal, pas de la pluie, ni de l’absence de préparation à la situation ».
Le seul problème finalement de This Could Be Texas, c’est qu’il y a tant de choses à en dire que nous avons envie de remplir des pages d’exégèse à son propos (ce qui ne nous est pas arrivé depuis un moment !). Restons-là, et recommandons seulement à notre lecteur d’écouter le magnifique Albert Road, ce final grandiose, qui pourra même évoquer les pièces musicales ambitieuses d’un Peter Gabriel au début de sa carrière solo : c’est à tomber à genoux tellement c’est beau ! Et la chanson traite pourtant d’un sujet profondément « politique » et grave, l’appauvrissement de l’âme humaine et ses conséquences : « So don’t take our prejudice to heart / We hate everyone / The world around us never showed / How loving can be fun / That’s why we are how we are / And that’s why we don’t get very far » (Alors ne prenez pas nos préjugés à cœur / Nous détestons tout le monde / Le monde qui nous entoure ne nous a jamais montré / À quel point aimer peut être amusant / C’est pourquoi nous sommes comme nous sommes / Et c’est pourquoi nous n’irons pas très loin).
Ce n'est pas vrai : English Teacher iront loin...
[Critique écrite en 2024]
Créée
le 20 août 2024
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