Les errances de Big Mike

La veille de la sortie de son troisième album, Stormzy a posté sur les réseaux sociaux une lettre écrite à la main dans laquelle nous pouvions lire les mots suivants : “I hope this chapter at least makes my biggest critic say ‘Hey, he’s shit but he loves music and I guess he’s gonna do whatever he likes.’” (J'espère que ce chapitre fera au moins à dire à mon plus grand détracteur 'Hey, il craint mais il aime la musique et je suppose qu'il fait ce qu'il veut'). Si la variété des influences avec lesquelles Big Mike s'est amusé sur ses deux premiers albums ne laissaient planer aucun doute quant à son amour pour la musique, This Is What I Mean demeure néanmoins l'album le plus mélodique et probablement le plus audacieux du rappeur londonien à ce jour. Ce troisième opus voit Stormzy une nouvelle fois s'essayer à une multitude de genres musicaux et s'appuyer sur un casting de collaborateurs en or massif (India Arie, P2J, Jacob Collier, Amaarae, GRADES, Ms Banks, Know Brown, Juls...) qui viennent chacun apporter une saveur différente au projet.

Sans surprise, This Is What I Mean est superbement produit. Rien qu'avec son instrumentale et la manière dont est utilisée la voix de miel de Nao, "Bad Blood" réussit à être simultanéement un morceau éperdument romantique et étrangement hantant. La majestueuse piste d'ouverture longue de 8 minutes, "Fire + Water", lance les hostilités avec une mélodie au doux goût de gospel et une atmosphère apaisée avant qu'un beat acéré fasse monter le ton. C'est une manière percutante et ambitieuse d'ouvrir cet album et cela fonctionne magnifiquement bien. Stormzy capte l'attention de l'auditeur dès les premières minutes du disque et ne compte pas la perdre en enchaînant directement avec la piste titre, unique chanson sur l'album qui comporte les sonorités grimes aggressives qui est la marque de fabrique du rappeur. Si l'on souhaite présenter les choses de manière très simple, on dira juste que "This Is What I Mean" est l'une des meilleures choses que Stormzy ait faites. C'est un morceau immense au point où il est très difficile de nier son impact. "I Got My Smile Back" fait partie de ces chansons inspirantes et irrésistibles que l'artiste britannique fait toujours extrêmement bien sans nous lasser. Le rappeur continue aussi de s'essayer à l'afrobeats avec "Need You" et "Hide & Seek", il laisse les manettes à Sampha et sa voix angélique le temps d'un "Sampha's Plea" presque spirituel et livre avec "My Presidents Are Black" ce qui ressemble à un freestyle sur un beat hip-hop plus classique aux accents de gospel.

Mais la spécificité la plus importante de This Is What I Mean est, de manière assez évidente, le chant. Car oui, Stormzy chante beaucoup sur ce disque. Cela n'est rien de bien nouveau pour lui : les refrains du vulnérable "Lessons" ou les hymnes que sont “Do Better” et “Blinded By Your Grace, Pt. 2” ont déjà donné raison au rappeur lorsqu'il a déclaré s'exprimer à travers le chant uniquement parce que "son âme le devait absolument". Mais si Stormzy avait déjà fredonné de manière habitée quelques mélodies par le passé, This Is What I Mean marque la première fois qu'il a autant recours au chant.

La voix chantée de l'artiste anglais apporte beaucoup de chaleur à l'album mais, même s'il a progressé en tant que vocaliste depuis ses débuts, cette présence prépondérante du chant révèle que, malheureusement, Stormzy est bien moins convaincant en tant que chanteur qu'en tant que rappeur, et cela porte préjudice à une partie de l'album. Il ne fait aucun doute que l'artiste a fait exactement ce qu'il avait envie de faire et rien ne paraît forcé sur ce disque, l'authenticité dans sa démarche est indéniable et c'est elle qui a toujours fait une grande partie du charme de sa musique. Mais à cause de performances moins inspirées, This Is What I Mean n'est pas aussi stimulant que ce à quoi Big Michael nous a habitué par le passé.

Ce troisième opus contient un certain nombre de points culminants, une poignée de tubes potentiels, quelques productions fantastiques et des choix d'invités très intéressants. Cependant, des chansons comme “Firebabe”, “Holy Spirit” et “Give It To The Water” qui se veulent émouvantes ne font pas leur effet et l'album ne montre que trop rarement Stormzy dans son élément, là où il excelle réellement et où il peut continuer d'évoluer : quand le beat s'accélère, que la fureur de la grime du Sud de Londres se fait sentir, qu'il apparaît tel un maître de cérémonie et pose avec aisance et malice son flow sur une production qui l'aide à exploser – tout ce qui fait de la piste titre de cet opus son joyaux.

This Is What I Mean nous offre de beaux moments mais semble nous indiquer que le meilleur reste encore à venir plutôt que de constituer un accomplissement et un énième sommet pour le rappeur. C'est un peu un album en demi-teinte, une étape obligatoire dans le parcours discographique et initiatique de Stormzy qui se cherche aussi bien en tant qu'artiste qu'en tant qu'individu. Et même lorsqu'il ne va pas tout à fait à bout de ses capacités, le rappeur irradie toujours une énergie lumineuse et nous séduit avec cette authenticité qui lui est si singulière.

Score : 7.2

Key tracks : "This Is What I Mean", "Bad Blood", "Hide & Seek"