They didn't stole the fun
Il y a quelques années de cela on vous a fait croire que Sonic Youth avait splitté, que Thurston Moore et Kim Gordon étaient en instance de divorce. On vous a menti. Ils sont toujours ensemble, actifs et leur dernier disque s'appelle Thrill Addict ! Bon par contre n'allez pas cafter à Aris et Barbara que j'ai dit ça, ils n'aiment pas vraiment être comparés aux célèbres New-Yorkais. On peut les comprendre, l'alchimie vocale des deux lurons rappelle tant les belles heures de Moore et Gordon qu'on a dû leur servir cette comparaison à toutes les sauces depuis leurs débuts. D'autant plus qu'il serait effectivement abusif d'étendre l'analogie à toute la production de Peter Kernel, car le groupe a son identité propre, une complicité irremplaçable, et une capacité apparemment inépuisable à faire du neuf avec du vieux.
Enfin je dis vieux, mais à ce titre je pourrais aussi bien parler d'universel. La formule du couple helvético-canadien est vieille comme le monde : guitare-basse-batterie in your face. On n'entendra pas d'instruments supplémentaires s'occuper des fioritures, car fioritures il n'y a pas dans la musique de Peter Kernel. Du rock, du solide, du " primal " comme ils le disent eux-mêmes. Du genre qui carbure aux tripes seules, qui se conquiert à raison de longues heures de jams effrénées, quand le groupe ne fait plus qu'un, où les idées perlent avec la sueur, où chaque petit motif est testé, travaillé à l'instinct et intégré si l'intuition suit. Il y a dans Thrill Addict une cohérence frappante, qui semble confirmer mes fantasmes sus-cités sur la création de leurs morceaux en studio. J'en veux pour preuve ce "They Stole The Sun" qui parle de l'absence de soleil à chaque fois que le groupe se retrouvait en studio. Tous semblent être issus de la même matière première, avec une constance dans le son qui nous scotche d'un bout à l'autre du voyage et une liberté dans le délire qui rend chaque nouveau morceau captivant, pour peu qu'on y soit réceptif.
Mais là où Thrill Addict fait encore plus fort, c'est qu'il aura su déjouer toutes mes attentes. Pour les avoir découvert sur scène, les deux hurluberlus m'étaient apparus comme de grands rigolards capable de délivrer un bon rock jouissif. En m'attaquant à leur disco, je pensais retrouver cela mais pas tellement plus ; un disque fendard pour se détendre un brin. Une seule écoute aura suffi à me prendre à contre-pied, je me suis retrouvé illico les quatre fers en l'air face à tant d'intensité. Je l'avoue, tout penaud, je ne pensais pas Aris et Barbara responsables de tant de profondeur ou capables de me rendre addict. Derrière tout "High Fever" débridé (voir à l'occasion son clip dingo) se cache un "Majestic Faya" sombre, presque tribal, entre cris et chuchotements. Quelque chose de bien plus ample qu'un simple rock fun se terre au sein de Thrill Addict, et je me surprends parfois à frissonner lorsque les joyeux piaillements laissent place aux incantations hallucinées. Peter Kernel n'est probablement pas un groupe qui se prend au sérieux, mais on ne s'y trompera pas : ce disque est sérieusement excellent. À vous faire oublier Sonic Youth quelques temps.