Time Out of Mind
7.3
Time Out of Mind

Album de Bob Dylan (1997)

En voulant absolument sonner comme un chanteur moderne Dylan a perdu, au cours des années 80, le fil ténu qui le reliait à son génie. L’enregistrement d’Oh Mercy lui a redonné confiance et l’envie de se replonger dans la musique traditionnelle qui a fait son éducation 30 ans auparavant. Au début des années 90 il enregistre deux albums de reprises de standards qui reçoivent un accueil critique très positif. Ceux-ci lui permettent de s’installer définitivement dans le fauteuil d’Old Bob, patriarche d’une Amérique à qui il rappelle la richesse de son patrimoine musical. Les honneurs et les récompenses se multiplient et le public attend impatiemment la publication d’un nouvel album de chansons originales.


Il attendra sept ans.


Jamais en trente ans de carrière le Zim n’avait mis autant de temps entre deux albums. Les hypothèses pour expliquer cette absence sont nombreuses, mais incertaines. On parle d’un manque d’inspiration, d’autres évoquent des problèmes de voix, d’autres enfin disent que Dylan n’aurait tout simplement plus envie de mettre les pieds dans un studio d’enregistrement.


La légende veut que l’inspiration lui soit revenue un soir d’orage.


Une tempête terrible oblige Dylan à rester cloîtré chez lui où il compose l’ensemble du disque en une seule nuit. Ça, c’est pour la légende, mais elle en dit long sur l’aura qui accompagne cette nouvelle livraison du troubadour folk.


Pour ce qui concerne les faits, le disque a été enregistré au début de l’année 1997, toujours en compagnie de Daniel Lanois qui avait déjà produit, huit ans auparavant, l’album Oh Mercy.


Les séances d’enregistrement furent encore plus houleuses que les précédentes, Dylan acceptant de plus en plus mal que quelqu’un vienne fouiner dans sa musique. Tony Garnier tentera de faire l’intermédiaire entre les deux artistes, mais le plus souvent lorsque ce dernier présentera une doléance de Lanois à Dylan, il se contentera de dire le plus fort possible


« Ah bon ? Tu crois vraiment Tony ? Tu sais, tu as peut-être raison ! Si j’avais écouté les conseils des autres, j’aurais peut-être fait une belle carrière ! »


Les séances ne tardent pas à virer à la paranoïa. Les musiciens qui rejoignent le studio reçoivent une liste de directives ridicules qu’ils doivent absolument respecter pour éviter tout contact avec le Zim et Lanois rentre fréquemment dans des accès de colère qui alourdissent encore un peu plus l’ambiance générale.


Un des plus grands sujets de désaccord entre les deux artistes concerne la chanson Mississippi.


Une première version acoustique est enregistrée. Lanois, qui est à la dobro sur ce titre, la trouve absolument merveilleuse, mais Dylan souhaite lui donner une ambiance moins crépusculaire. Le Zim semble beaucoup tenir à ce morceau dont le texte aborde les rivages de la vieillesse et de la mort sans jamais tomber dans le misérabilisme. Plusieurs versions seront enregistrées, mais Dylan n’en retiendra aucune et surtout pas celle avec Lanois à la guitare ce qui mettra ce dernier hors de lui.


Les séances arrivent péniblement à terme et Dylan rentre chez lui, bien décidé à ne plus jamais laisser un producteur se mêler de son travail. Quelques semaines plus tard, il ressent de vives douleurs au niveau du cœur. Hospitalisé en urgence on lui diagnostique une histoplasmose, infection parasitaire potentiellement mortelle dont les symptômes sont comparables à ceux de la tuberculose. Pour la première fois depuis dix ans il est obligé d’interrompre son NET.


Les fans, d’abord morts d’inquiétude, sont bientôt rassurés par les nouvelles provenant de la clinique. Dylan n’ira pas encore rejoindre Elvis.


Cette frayeur ne fera qu’augmenter les attentes des fans concernant le disque qui sort finalement en septembre 1997.


Sur la pochette on découvre un Dylan seul, pris en contre-plongée avec sa guitare dans les mains. La photo est floue comme celle de Blonde On Blonde.


À l’instar de sa pochette, Time Out Of Mind n’est pas un disque facile d’accès. Il ne comprend aucun refrain accrocheur, aucune mélodie facile et très peu de morceaux up tempo. L’ensemble de l’œuvre est hanté par une ambiance crépusculaire sur laquelle Dylan évoque des thèmes comme la rupture et la mort, mais aussi la rédemption que le poète trouve dans l’éloignement.


La route est le thème récurrent de l’album. Elle est évoquée dans presque toutes les chansons comme unique échappatoire aux contraintes de la vie et du temps. La liberté dans le mouvement, semble nous dire Dylan, en espérant atteindre les portes du paradis avant que celles-ci ne ferment leurs portes.


Chaque titre de l’album contient une force émotionnelle renversante grâce à la voix de Dylan qui prend ici une toute nouvelle dimension. Le travail vocal entreprit à l’époque d’Oh Mercy atteint maintenant sa pleine maturité. La voix du Zim semble frappée par la grâce du désespoir. Chaque mot, chaque intonation, porte avec elle un flot d’images et de souvenirs qui touchent l’imagination de l’auditeur. Chaque vers claque comme un coup de tonnerre dans la nuit. Jamais l’écriture du poète n’aura été aussi précise et acérée. Time Out Of Mind est un poème qui dure presque 75 minutes et dans une époque où les artistes remplissent jusqu’à la gueule leur cd de chansons dispensables aucun titre n’est ici superflu.


Les critiques et le public ne s’y tromperont pas en réservant un excellent accueil à ce nouveau chapitre de la grande œuvre. Time Out Of Mind récoltera trois Grammy Awards dont celui du meilleur album et la presse considèrera, à juste titre, ce disque comme étant le meilleur de Dylan depuis Blonde On Blonde.


Presque quinze ans après sa parution Time Out Of Mind reste le dernier grand chef-d’œuvre en date de Dylan. Depuis il a produit de bon, voire de très bons disques, mais aucune de ses productions récentes n’atteindra les sphères de Time. Cet album contient quelque chose d’unique. La rencontre entre deux immenses artistes qui, le temps de quelques séances, auront su mettre un peu de leur égo de côté pour graver, ensemble, une œuvre intemporelle



Hervé_Bertsch
9
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Créée

le 8 août 2023

Critique lue 38 fois

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